Post-confinement : les tendances

Rencontre de Monique Large, la fondatrice de l’agence de prospective Pollenconsulting, qui nous dresse un panorama des tendances de cette étrange année 2020.

Monique Large, pouvez-vous vous présenter ?
M.L. Je suis designer de formation : Beaux Arts de Paris et Camondo. À la sortie de Camondo, j’ai travaillé en tant que responsable marketing opérationnel dans l’industrie, ce qui m’a permis de me former aux démarches et outils du marketing, mais aussi des nouvelles technologies qui faisaient alors leur arrivée en force. En 2001, je rejoins Dezineo, avec ma double casquette de designer et de profil marketing pour mettre en place l’offre d’études de tendances (magazine, études en souscription, etc.). En 2011, je crée Pollenconsulting avec l’objectif de faire du conseil en innovation en exploitant mon savoir-faire à la croisée du design, du marketing et de la sociologie. Dans le même temps, j’en ai profité pour me former aux démarches de la facilitation en créativité (méthodologie CPS). En matière de livrables, je fournis des cahiers de tendances exploitables dans des ateliers en intelligence collective.

Quel est votre sentiment sur les évènements que nous vivons en ce moment ?
M.L. Je sens comme un tiraillement entre le fait de se projeter dans un futur, de changer le monde, de construire un nouveau modèle avec plus de sens, et, d’un autre côté, une inertie liée à l’incertitude, mais aussi une urgence de court terme pour ce qui concerne les entreprises : dans quel état vais-je retrouver mes équipes, comment je m’organise, etc. Autrement dit, on voudrait bien se projeter, mais on a peur de le faire, du fait de ce climat d’incertitude généralisé.

Quelles sont les tendances clés pour les mois à venir ? 
M.L. Au-delà des tendances dont tout le monde parle – relocalisation, inquiétudes sur le traçage et ses impacts sur la vie privée, plus d’empathie avec l’autre, manières différentes de travailler, etc. – il y a clairement un surinvestissement sur le domicile, puisque la situation actuelle de confinement pourrait parfaitement se reproduire à plus ou moins long délai. De ce fait, l’ensemble de la chaîne de valeur de l’offre (conception, fabrication, distribution) est questionnée pour s’adapter à ce nouveau contexte où le domicile devient une donnée centrale. Auparavant, chaque action était le fait d’un lieu différent. Aujourd’hui, il s’agit que chaque action puisse traverser le domicile. Ce n’est plus le consommateur qui se déplace, mais l’ensemble de l’offre qui doit être capable de venir à lui. D’autre part, il y a des remises en question brutales de concepts comme les hubs (co-working, lieux de rencontre, etc.), la densification urbaine, les connexions mondialisées. Bref, tout ce qui était « open » n’est plus au goût du jour : au contraire, il y a un mouvement vers la mise en valeur de l’intime et de l’espace.

Et le rôle du design dans tout cela ? 
M.L. Je travaille beaucoup, depuis un an, autour du design fiction (méthodologie théorisée par Julian Bleecker), ce qui paraît assez opportun en ce moment. La science fiction est un genre qui plaît beaucoup au grand public mais aussi aux entreprises afin d’explorer les différents scénarios du possible. À ce propos, je souhaiterais mentionner le « cône du futur » (ndlr : ce modèle a été utilisé par Hancock et Bezold en 1994 pour représenter des futurs alternatifs, et était lui-même basé sur une taxonomie, branche des sciences naturelles, des futurs d’Henchey en 1978), outil qui nous permet d’ouvrir les champs des possibles selon quatre volets  : le probable, le plausible, le possible et le préférable. Le probable et le plausible étaient sur quoi travaillaient habituellement les designers. Aujourd’hui, ces mêmes designers vont devoir appréhender le possible, c’est-à-dire ce qui est scientifiquement crédible, et donc sortir de leur « business as usual ». D’autre part, l’exigence d’agilité liées aux situations imprévues telles celles engendrées par le Covid-19 demande désormais d’ouvrir davantage l’exploration pour aller jusqu’au préférable. Cette exploration se fait grâce à la fiction : le designer travaille sur des hypothèses fictionnelles afin d’être en mesure de challenger son client ou ses parties prenantes, afin de mettre en valeur le futur le plus acceptable ou souhaitable. Il s’agit de se projeter dans des situations catastrophiques et de matérialiser collectivement les réponses les plus appropriées.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ? 
M.L. Je travaille actuellement sur un design fiction post-Covid afin d’interroger toutes sortes de situations ou de décisions, à partir de questions qui fâchent. Par exemple, pour un cahier de tendances marketing points de vente, nous sommes partis de sujets tabous comme « et si tout était livré à la maison, quid de l’expérience magasin autour de la marque ». Cela nous entraîne, en particulier, à imaginer des scénarios d’expériences magasin virtuelles lors de la livraison à domicile. 

Quelques mots pour conclure ? 

M.L. Pour construire ce monde d’après tel qu’on le souhaiterait, interrogeons-nous sur nos tabous et nos peurs, mais d’une façon ludique et constructive. Il ne s’agit pas de vivre dans la peur, mais de savoir ce que nous voulons, en n’excluant aucune hypothèse. 

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1152