Le design produit en avant-première

Dans cet article, nous nous intéressons à une discipline du design qui souffre trop souvent d’un manque de visibilité et de reconnaissance : le design produit. Nous sommes donc allé interviewer Luc Jozancy et Danièle Bornand, respectivement fondateur et associée de l’agence lyonnaise Avant Première, ainsi que Juliette Chauveau créatrice de l’entreprise Le Pigeon-Coq qui surfe sur la tendance du Do It Yourself (DIY).

AVANT PREMIÈRE.
Luc Jozancy et Danièle Bornand, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Luc Jozancy. J’ai co-fondé Avant Première à Lyon avec Éric Rhinn en 1988. J’ai une double formation : Beaux-Arts puis Arts Décoratifs. Une formation « bicéphale », en quelque sorte, à la fois émotionnelle et technique.
Danièle Bornand. J’ai rejoint Avant Première en 1996 et ai une formation management et marketing. J’ai toujours travaillé en agence de design, et notamment chez ADSA (ndlr : l’agence de Pierre Paulin et Roger Tallon).

Où en est Avant Première aujourd’hui ?
L.J. L’agence travaille essentiellement dans deux domaines, le transport (dirigé par Éric Rhinn) et le produit (co-dirigé par Danièle Bornand et moi-même). Nous sommes au total une quinzaine de personnes et réalisons un chiffre d’affaires de 1,5 millions d’euros. En produit pur, nous sommes donc un acteur important en France.

Justement, comment se porte le design produit en France ?
L.J. Tout d’abord, c’est un métier qui n’est pas reconnu à sa juste de valeur, alors que les autres disciplines (branding, packaging, retail, etc.) le sont bien davantage. D’autre part, il y a peu de designers produit qui siègent dans les instances dirigeantes des entreprises. Maintenant, pour ce qui concerne le métier en lui-même, le design produit est de plus en plus sollicité pour ce qui concerne l’ergonomie, la sécurité, la qualité perçue  comme le montre nos nos interventions chez des clients comme Haulotte ou Aldes. On est sur de l’optimisation des notions d’usage, avec, par exemple, l’élaboration de chartes design qui prennent en compte l’environnement global du produit. Il s’agit d’une vision produit beaucoup plus holistique qu’auparavant, avec moins de demandes ponctuelles et plus de demandes transversales sur la durée. Cela est encore plus vrai quand on intervient pour des entreprises en création pour lesquelles le design un axe stratégique et opérationnel majeur. J’ai aussi en tête que le design produit est en mesure de réveiller de « belles endormies » en sachant relier histoire, tradition et innovation. 

D.B. Du coup, on intervient de plus en plus en amont de la conception du produit. On est là pour apporter une vraie réflexion en matière d’usage et de qualité perçue, notamment dans les domaines industriels où la notion de prescription est déterminante.

Comment mieux mettre en lumière l’apport du design produit ?
L.J.  Souvent, les designers produit ont du mal à parler chiffres. In fine, on est quand même là pour que l’entreprise soit plus performante. Nous sommes trop discrets sur ce point, à l’inverse d’acteurs de la publicité ou du branding qui manient très bien les notions de retour sur investissement dans leur communication. Il faut vraiment que l’on change cela : les designers produit doivent davantage se positionner « business » dans le bon sens du terme – en expliquant mieux leur expertise dans l’optimisation des performances de l’entreprise. À ce propos, on voulait à un moment réaliser une exposition en décortiquant un produit pour montrer tout ce que le design avait apporté. Et puis, ce serait bien que les prix de design soient des prix qui récompensent un produit qui a eu du succès et où le design a été contributif.
D.B. Totalement d’accord ! Il faut vraiment que l’on revendique mieux comment le designer produit est un pont entre les différents métiers de l’entreprise. On est multi-compétences, mais qui le sait vraiment ?

Que peut-on faire pour mettre le designer produit à sa juste place ?
L.J.  Il y a eu déjà tellement de réflexions et de discussions sur le sujet… À part démontrer de manière concrète et chiffrée l’apport du design produit, je ne vois pas. Mais à nous aussi de communiquer plus et mieux, et sortir de notre positionnement muséal et parfois même dogmatique dans lequel on a trop souvent tendance à se placer ou à se laisser enfermer.

Un message pour terminer ?
L.J.  Je reviens de Canton et quand on voit la profusion de marques et de produits chinois de grande qualité, l’on se dit que l’on est presque au bout d’un système. C’est parfait, c’est bien fait et cela représente une masse de produits vertigineuse. Quid du design dans ces conditions ? Donc, si le design ne prend pas prioritairement en compte la dimension de bien-être, de façon globale, pour le consommateur, l’utilisateur et la planète, alors le design sera un accélérateur de catastrophes !  On n’est pas là pour seulement faire vendre plus, mais pour faire mieux qu’avant, dans tous les sens du terme – notamment en intégrant intelligemment les notions du « less is more », c’est-à-dire en allant vers l’essentiel et surtout pas en appauvrissant le résultat obtenu.

LE PIGEON-COQ.
Juliette Chauveau, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Juliette Chauveau. J’ai 32 ans et je viens du milieu de l’audiovisuel, mais avec depuis toujours un côté bricoleur et créatif. C’est naturellement que je me suis tournée vers la maroquinerie et le Do It Yourself. 

Pourquoi avoir créé Le Pigeon-Coq ?
J.C. L’idée est d’organiser des ateliers de six personnes dans lesquels les participants créent « leur » sac à main. Le principe est de choisir un modèle parmi notre catalogue, puis de le fabriquer et le personnaliser. Notre concept d’atelier de DIY est à la fois ludique et ouvert à tous, et les participants nous font systématiquement part de leur satisfaction d’avoir créé eux-même quelque chose qui leur est propre. 

Quel votre principe de fonctionnement ?
Nous organisons aujourd’hui entre 6 à 10 ateliers par semaine, et je prévois d’ouvrir des ateliers dans d’autres villes, compte tenu de la demande. Ensuite, pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent se déplacer, nous avons développé un système de box DIY personnalisable contenant tous les composants pour fabriquer son sac. Au total, nous « produisons » environ 2 000 sacs par an.

Le DIY est une tendance qui monte ?
Elle ne cesse de croître. Les gens ont besoin de consommer différemment, de façon plus vertueuse et plus investie. Ils sont dans une démarche de faire par eux-même, en combinant idéalement qualité, esthétique et éthique. C’est pour cela que notre positionnement DIY est à la fois très tendance et très qualitatif. Par exemple, nos cuirs proviennent de chutes de grandes Maisons de couture. De façon générale, ma vision du DIY tient en deux mots : audace et simplicité.

Comment travaillez-vous ?
J.C. Mon écosystème est composé de six animatrices en free lance. Je communique beaucoup sur Instagram et suis en lien permanent avec les influenceuses du DIY. Quant à mes fournisseurs de matière, ils sont essentiellement français. J’effectue une veille permanente des tendances de la mode et dessine environ trois à cinq modèles par an. En parallèle je développe une activité BtoB avec des ateliers que nous organisons spécifiquement pour les entreprises. Cela permet à leurs collaborateurs de décrocher du quotidien et de se recentrer en s’adonnant à une activité ludique et valorisante.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1130