matériO’ : le sens de la matière

Après le foisonnement de nouveautés de Maison&Objet, nous sommes allés à la rencontre de Quentin Hirsinger, fondateur et président de matériO’, base de données des matériaux et des technologies qui y sont associées.

Comment définir exactement matériO’ ?
Quentin Hirsinger. matériO’ est une base de données fondée il y 20 ans et dont l’objectif est de proposer à tout type d’entreprise, de tout secteur,  8 500 références de matériaux du monde entier. Nous disposons  d’un showroom à Paris et avons des des partenaires à Prague, Séoul, Shangai et Shenzhen afin de permettre à nos adhérents (1 000 environ) d’enrichir leur connaissance et d’élargir leur champ de vision matériaux. Nous sommes totalement indépendants, uniquement financés par nos adhérents. Nous n’achetons rien, tous les échantillons nous sont envoyés gratuitement et sont ensuite répertoriés dans notre base. Il s’agit d’un modèle économique simple, mais sain : visibilité pour les fabricants et base de connaissance pour les adhérents, le tout sans jamais dépendre des intérêts des uns ou des autres.

Quel est le positionnement de matériO’ ?
Q. H. matériO’ est là pour identifier des choses singulières et les mettre à disposition de ceux qui pourraient en avoir besoin – architectes, designers, créatifs, bureaux de style, industriels, etc. matériO’ n’est pas un cabinet de tendance ou un bureau de style (qui sont par ailleurs membres de matériO’). Nous agissons en amont de la tendance : en répertoriant en permanence les dernières nouveautés matériaux, il y a une possibilité pour que l’un de nos adhérents s’empare de l’une d’entre elles et en fasse une tendance forte.

Comment a évolué la « demande matériaux » depuis 20 ans ?
Q. H. Au départ il fallait aller vers le « green » parce que cela était vendeur. Ensuite, il a fallu être « green » pour ne pas être pénalisé économiquement. Aujourd’hui, il y a une vraie volonté de faire « green » car la prise de conscience que l’on va droit dans le mur en matière environnementale est réelle. Il y a une sincère volonté de bien faire, malheureusement il y a aussi une totale méconnaissance des enjeux et de la complexité du green. 

C’est-à-dire ?
Q. H. Par exemple, j’ai souvent des demandes pour du « cuir vegan ». Les designers ou les industriels de l’ameublement veulent un simili cuir, soit pour les vegan (1 % du marché), soit parce qu’ils pensent que vegan signifie automatiquement « écologique ». Erreur ! Le cuir naturel provient en grande partie des déchets de l’agroalimentaire et est donc, de ce fait, beaucoup plus vertueux qu’un simili cuir vegan (textile enduit de polyuréthane combiné avec extraits naturels) – processus de tannerie mis à part, bien sûr. Par conséquent, l’on peut être vegan sans être écologique et inversement.

On parle beaucoup des bioplastiques en ce moment. Qu’en pensez-vous ?
Q.H. Le bioplastique est actuellement paré de toutes les vertus. Rappelons que le bioplastique provient de plastiques biosourcés (à base de plantes généralement) mais aussi de plastiques traditionnels (issus de pétrole). Et ce n’est pas parce que vous utilisez un bioplastique que vous êtes forcément biodégradable. Par conséquent, mieux vaut bien recycler un matériau polluant que mal recycler un matériau biosourcé !

Comment faire, alors, pour être vraiment « green » ?
Q.H. Le biodégradable est une réalité mais tous les matériaux ne sont pas biodégradables de la même façon. Au-delà de cet aspect spécifique de la biodégradabilité, il convient d’avoir une vision holistique du green : d’abord réfléchir en termes de valeur d’usage (nous surproduisons aujourd’hui), de modèle économique (le green doit s’inscrire dans un modèle économique viable), de ressources et de technologies.

Le green : une posture sociétale différente ?
Q.H. Absolument. Être green cela signifie d’abord ne pas produire des choses qui ne servent à rien : produisons juste, utile et beau avec des matériaux dont on maîtrise l’ensemble de la chaîne de valeur – des composants primaires jusqu’à la recyclabilité. Il ne faudrait surtout pas considérer le bioplastique comme l’alibi d’une consommation forcenée. Je préfère nettement que l’on reconnaisse les vertus d’un plastique traditionnel lorsqu’il est utilisé et recyclé à bon escient, plutôt que de faire n’importe quoi avec des plastiques biosourcés, notamment avec une utilisation parfois massive de ressources agricoles, d’eau etc.

Vous semblez un peu désabusé, non ?
Q.H. Ah non ! Pas du tout ! Mes journées sont magiques. Je reçois tous les jours des matériaux nouveaux. Ainsi le raden : nacre coupée très finement, collée sur du papier washy, le tout recoupé en minces lamelles qui sont tissées pour réaliser des kimonos dans lesquels on aperçoit la nacre. Ou encore des revêtements comme le Vantablack qui absorbe 99,9 % des rayons incidents et qui empêche l’œil de recréer le volume – développé à l’origine pour le secteur de l’optique. Peut-être que ce Vantablack pourrait se retrouver sous une forme un peu différente dans l’univers de la mode. 

Votre coup de cœur et votre regret ?
Q.H. Mon coup de cœur ? J’en ai beaucoup… Tenez,  en lien avec mon enfance : ma grand-mère possédait un porte-monnaie en cote de mailles – l’un des premiers matériaux que j’ai par ailleurs référencé. C’est un matériau doux, liquide et froid, utilisé aussi bien comme protection dans l’industrie agroalimentaire que pour un packaging promotionnel. C’est dire que l’innovation est autant le fait du matériau que de son utilisation. Mon regret : j’en parle souvent, mais je tiens à le redire. C’est l’idée qu’il y aurait de bonnes et de mauvaises matières. C’est totalement faux. C’est l’usage que l’on fait de la matière qui est bon ou mauvais.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1123