Degrenne cuisine sa croissance avec Starck

Le spécialiste de l’art de la table perd son prénom, gagne un « Paris », retrouve ses capitales et s’offre une collaboration avec Philippe Starck. Analyse de la nouvelle stratégie de Degrenne.

Par Delphine Masson, journaliste à Design fax.

Nouvelle identité visuelle, nouveaux produits, nouveau site et partenariat avec Philippe Starck… Avec un chiffre d’affaires 2017 de 85,5 millions d’euros, en baisse de 6,7 %, le fameux Guy Degrenne est bien décidé à sortir du rouge. « Voilà quinze ans que l’entreprise perd de l’argent », reconnaît Thomas Mulliez, nouveau directeur général venu de Linvosges pour réveiller cette marque française de référence, créée en 1948 dans la Manche par l’industriel éponyme. Plusieurs facteurs expliquent cette mauvaise passe : un secteur très concurrentiel avec l’arrivée de nouveaux acteurs comme Zara Home ou Maison du monde ; la quasi disparition des listes de mariage centrées sur les arts de la table ; un manque de vision et d’investissement et des choix peu judicieux, comme celui de passer le nom de la marque en minuscule en 2003. « Elle a ainsi perdu de son statut », assure Blandine Franc, directrice marketing arrivée en mars après un parcours chez L’Oréal et Christofle.

Le nouveau logo (à gauche) s’affine, rappelle la roue de polissage de l’acier, évoque une table de quatre personne à la façon d’un blason alors que le nom s’affiche en majuscule.

La nouvelle équipe s’est attelée à réveiller cette belle endormie dont la notoriété et le capital affectif restent importants. Son identité visuelle, confiée à Agathe Faucheur de Battisti, renoue avec la majuscule. Le prénom « Guy » disparaît et « Paris » s’ajoute à Degrenne pour mieux briller à l’international (75 % de son chiffre d’affaires est réalisé en France). Le logo, tel un trèfle à quatre feuilles, est modernisé. Il évoque toujours la convivialité de quatre personnes attablées partageant un repas, mais aussi la roue de polissage utilisée par le fondateur pour transformer, après guerre, l’acier des chars de la bataille de Normandie, en couverts de table. À la pointe, déjà, du recyclage.

Un coffret « d’outils de cuisine » signés Starck.

« Désormais, Degrenne Paris se veut le symbole du renouveau de l’art de vivre à la française et non plus seulement de l’art de la table », poursuit Blandine Franc qui a également collaboré avec l’agence Bonjour Paris. Ses nouvelles valeurs sont le savoir-être, l’élégance, la légèreté, l’audace et le supplément d’âme, portés par une nouvelle accroche : « L’art du moment ». Concrètement, la marque premium veut enrichir ses collections de nouveaux produits pour accompagner le consommateur à tous moments de la journée et dans toutes les pièces de la maison, du déjeuner au goûter et de la chambre à coucher au salon. « La salle à manger classique a disparu. Aujourd’hui, on prend ses repas dans différents lieux. Nous devons accompagner ce mouvement, » explique Blandine Franc. D’où le lancement de linges de table, de bougies, de vases, mais aussi de couteaux de cuisine après l’acquisition, en 2015, de la société Thérias et L’Économe, fabricant de couteaux à Thiers depuis 1819.

La gamme complète des « outils de la cuisine » pour séduire de plus jeunes clients.

Degrenne, dont la cliente type est la mère de famille de 40 ans, souhaite également rajeunir et moderniser ses gammes pour toucher une population plus jeune, plus masculine et plus connectée. Le partenariat avec Philippe Starck va dans ce sens. La star du design a été choisie pour réinventer le couteau L’Économe. Une valeur sûre même si elle manque cruellement d’originalité. « Qui mieux que lui peut dessiner des objets intemporels et iconiques ? » commente Thomas Mulliez en indiquant toutefois que le designer est aussi un très bon ami de l’actionnaire principal de Degrenne, Philippe Spruch, à la tête de Diversita.
Philippe Starck, adepte des entreprises patrimoniales, artisanales et locales, a travaillé en convoquant le souvenir du potager de sa grand-mère épluchant les légumes de son jardin après guerre pour en garder le maximum. Il s’est dit ravi de moderniser un outil, en phase avec la nécessaire « économie écologique » de l’époque. Ses trouvailles : un manche qui rappelle la forme d’une carotte épluchée à l’économe, une fourchette-cuillère pour mieux manger de la quinoa ou des céréales, un couteau qui tient seul sans que la lame ne touche la table, un manche conçu à partir de bois recyclé qui passe à la machine à laver. Le tout présenté dans un coffret-livre en carton, « pour le plaisir d’ofrir », à des prix raisonnables : 9 euros pièce pour le modèle en plastique, 25 euros pour le couteau en inox. Philippe Starck planche aujourd’hui sur le design de la vaisselle, mais aussi de cocottes et de poêles alors que l’entreprise peaufine son plan de relance avec un tout nouveau site internet. Ses points de vente – 20 boutiques en propre – seront progressivement revus pour s’adapter à la nouvelle identité visuelle. Prochain chantier : la clientèle professionnelle, les hôtels, les restaurants et les industriels qui représentent deux tiers de son chiffre d’affaires.

 

Cet article paru dans le Design fax n°1037 du 18 septembre 2017 vous est gracieusement offert. Vous pouvez vous abonner ici.