Comment la saucisse peut changer le monde

Le design est quotidien, industriel et politique, affirme Inga Sempé. Démonstration avec « The future sausage » de Carolien Niebling, primé le 2 juillet par la designer et son jury de la design parade Hyères 2017.

Carolien Niebling, Grand prix de la design parade Hyères 2017, présente « The future sausage » à la Villa Noailles.

Et si la saucisse –et le design- pouvait transformer la planète ? Ce dimanche soir 3 juillet, dans les jardins de la villa Noailles à Hyères, Inga Sempé passe le message avec clarté et fermeté. Elle est présidente du jury de la design parade 2017 et la voici « jupitérienne ». « Pour ce grand prix, j’ai souhaité imposer mes volontés, annonce la designer en préambule à la remise du trophée. Et ma volonté, c’est qu’on arrête de dire que le design est élitiste, de croire que c’est un qualificatif alors que c’est une discipline. J’ai donc privilégiés des gens qui connaissent la production en série, les contraintes économiques, techniques, les impératifs de la compétition… Nous avons choisi un produit extrêmement industriel, pour montrer à quel point le design peut être novateur, politique aussi et influencer la vie des gens. » Ce produit, c’est la saucisse. Plus exactement « The future sausage », le travail de trois années de Carolien Niebling, néerlandaise diplômée de l’École cantonale d’art de Lausanne (Ecal).

De gauche à droite : saucisson de carotte , abricot et noix de coco ; saucisson de baies, dattes et amandes ; salami d’insectes ; saucisse au foie et baies ; boudin aux pommes ; mortadelle aux légumes ; saucisse fraiche purée de pomme de terre et de pois. Photo de Noortje Knulst.

« C’est un des plus anciens aliments designés, souligne la jeune designer. Il est présent dans une majorité de culture. Il se transporte, se conserve, sa peau le protège, il a des propriétés de conservation, etc… » La saucisse se présente également en portion, permet d’utiliser, pour le boucher, toutes les ressources auxquelles il a accès et est un produit largement diffusé, sinon quotidien. Un parfait objet de design, donc. Seul « défaut » (très contemporain) de ce sac à protéines : il est principalement à base de viande. Or l’aliment carné consommé à haute dose plombe le climat. Selon le dernier rapport de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) en 2013, les élevages seuls sont ainsi responsables de 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre. Voici donc la deuxième étape de cette démarche de design : comment modifier un produit usuel sans lui faire perdre ses atouts, tout en transformant une habitude de consommation ? En remplaçant ou en diminuant la viande sans perdre la valeur protéinique et en conservant son apparence, répond la designer vivant en Suisse. « Si l’on consommait un demi-kilo de viande en moins par an, soit seulement 1 % de moins au niveau mondial, nous aurions besoin de 53 millions de vaches en moins, toujours par an destinées, à l’alimentation. »  Pas besoin de révolution majeure, juste une transformation. Entraînant des économies de nourritures, d’eau, de CO2…. De quoi commencer à protéger la planète.
Carolien Niebling a donc recherché les plantes, légumes et fruit qui pourraient remplacer sinon parfaitement accompagner la viande. En travaillant avec un boucher néerlandais, Herman ter Weele et un chef de Lausanne, Gabriel Serero, la jeune femme s’est assurée à la fois du goût de ses produits et de la possibilité pour les bouchers et artisans de bouche de continuer à travailler : toutes le techniques utilisées sont bouchères. De quoi conserver un savoir-faire artisanal tout en explorant de nouveaux horizons. Voici donc le boudin chocolat et céréales au  cœur de pomme gélifié à l’agar, qui permet de réduire de moitié la viande, la saucisse purée tout en un avec 30 % de viande en moins grâce à deux boyaux , l’un de purée de pomme de terre l’autre de petits pois ; la mortadelle aux carottes, asperges, brocolis et chou-fleur ( -20 % de viande) ; le pâté à la farine d’insectes, noix de pécans, jus de carotte et épices…

Maquettes de la saucisse purée et du boudin aux pommes du projet « The future sausage ».

« Je ne tiens pas à créer des goûts « poulet » ou autres, explique la designer qui n’était pas particulièrement passionné par la charcuterie avant de se lancer dans sa recherche. Ce serait envoyer le mauvais message : comment imaginer qu’il faut manger moins de poulet en avalant quelque chose qui y ressemble ?  Je souhaite plutôt montrer qu’il existe d’autres protéines et ouvrir les goûts à quantité de plantes que nous n’avons pas encore explorés. » La jeune femme pourfend la nourriture de supermarché qui égalise les saveurs, enferme dans la facilité et le même. Elle veut aller vers plus de diversité, de curiosité. Pour accompagner le projet, un livre-manuel conduit le lecteur à travers l’histoire et la conception de la saucisse tout en proposant une centaines d’aliments pour le futur.
Du délicieux design politique. (en espérant qu’à la Design parade 2018, nous pourrons tester l’ensemble de ces saucisses du futur que certains ont pu déguster à Milan)

Les neufs autres projets des jeunes designers de la design parade 2017

[wonderplugin_slider id= »24″]

 

Design Parade, festival de design et d’architecture d’intérieure à Hyères et Toulon jusqu’au 24 septembre.