Objectif ADC : progrès humain

Pierre Nabhan, cofondateur de Joosnabhan et récemment élu président de l’Association Design Conseil (ADC), nous en dit plus sur sa feuille de route au sein de l’association.

Pierre Nabhan, pourriez-vous présenter ?
P.N. Je suis issu d’un milieu littéraire et artistique, et cela teinte forcément ! J’ai une formation principalement en sciences humaines à la Sorbonne et en sciences du langage et sciences politiques à Sciences Po. Tout cela m’a donné la volonté d’être un acteur du monde dans lequel on vit. Ajoutons-y une formation plus artistique en photographie et arts classiques. Le tout accumulé permet un regard avec de la hauteur et de la vision, mais aussi du pragmatisme pour former et transformer le monde. J’ai démarré mon parcours professionnel par la photo, puis, rapidement, j’ai rejoint pendant deux ans Euro RSCG, une agence de pub, comme concepteur-rédacteur. Une expérience extraordinaire, mais pas totalement satisfaisante, car le travail amont m’intéressait beaucoup. J’ai ensuite rejoint Landor pendant six ans pour développer le naming et le writing en France et en Europe. Après, j’ai choisi d’être indépendant en fondant TEXT JPEG puis en fusionnant cette activité avec celle de Valentin Joos, un ami de chez Landor, pour lancer ensemble Jossnabhan, avec cette conviction que ce qui est premier dans une marque, ce sont les mots. On a rapidement décidé d’adhérer à l’ADC où j’ai rejoint le bureau avec le lancement des Talks de l’ADC. J’ai retrouvé à l’ADC un monde associatif très porté sur l’intérêt général, terme qui porte bien son nom, avec les actions mises en œuvre au service de valeurs et de leur défense. D’où ma motivation pour me présenter à la présidence. 

Quels sont vos projets à la tête de l’ADC ?
P.N. J’ai au départ rejoint l’ADC pour le métier et pour la marque, puis avec la volonté de dire que le design de marque participe à un progrès humain. Cet aspect humain est la donnée centrale de ma présidence et ce sera le fil rouge pour les deux années à venir. Les marques viennent voir nos agences quand elles veulent avancer et progresser. Et, pour moi, le progrès est forcément humain. Bien sûr, on parle de transhumanisme et d’IA, mais, quand l’on observe les faits du point de vue historique, l’humanisme apparait après la période des temps obscurs. Remettons donc l’humain au centre des arts, des lettres et des sciences. L’ADC reprend cela avec pragmatisme, en nourrissant le périmètre du design de marque et en y faisant émerger la valeur humaine. Parce que, nous le savons bien, le problème ce n’est pas combien coûte un logo, la question c’est qui, quoi, quel talent, quelle organisation sont nécessaires pour traiter la face immergée de l’iceberg. De façon générale, disons que nous assistons à un déplacement de focale selon quatre grands piliers : l’interaction, l’intelligence, l’inspiration et l’influence. Concrètement, l’interaction consiste à favoriser la synergie entre les membres, les pairs et les futurs professionnels du secteur avec des réunions, des ateliers et des afterworks qui traitent de l’aspect du métier ; l’intelligence s’entend comme le fait d’alimenter les réflexions et les pratiques par des études, des talks, des rencontres spécifiques à propos, notamment, de l’intelligence de la main et des arts appliqués ; l’inspiration, c’est explorer et proposer de nouvelles perspectives créatives avec, par exemple, l’évènement In design we trust qui traite cette année de la thématique d’être humain ; quant à l’influence, il s’agit de voir comment maximiser notre impact sur les parties prenantes clés. Nous sommes ainsi membres de la filière communication du ministère de l’Économie. L’une des contraintes de nos métiers est que le design est à multiple définition : c’est un objet mouvant. Je suis pour ma part assez proche du design à l’anglaise : to have a design, c’est avoir une vision, puis c’est lui donner forme. Mais enfin, la vie est là et l’important c’est de savoir à quoi le design est au service. Je le répète, pour nous, le design contribue au progrès humain à travers les marques. 

Votre vision du marché français du branding ?
P.N. L’aspect de l’IA est central dans votre question. Entendons-nous, l’IA est un outil qui fait évoluer les pratiques et il faut mettre cet outil au service de l’humain. Cette volonté est bien présente avec OpenAI qui rachète la start-up de l’ex-designer historique d’Apple, Jonathan Ive, pour 6,5 milliards de dollars. OpenAI, la machine, achète de l’humain pour être certain que l’IA est adaptée aux hommes et aux comportements. C’est tout le débat. L’IA est un outil redoutable et incontournable, mais avec un effet de césure : ceux qui étaient légers vont souffrir et ceux qui étaient exigeants vont en bénéficier. Avec ou sans IA, les problématiques restent les mêmes : autrement dit, les enjeux des marques ne changent pas. L’IA est un outil génial qu’il faut apprendre à utiliser. Et oui, bien sûr, l’IA accélère les processus de création, mais à partir du moment où la vision est parfaitement définie. Et puis, en matière de design de marque, la machine est à mille lieues de la vision des meilleurs talents de la profession. L’autre aspect de votre question est ce contexte économique compliqué où le monde de la marque et de la com luttent. L’environnement est agité, avec une incertitude économique et financière et donc des économies humaines et financières chez l’annonceur, et, évidemment, les premiers budgets qui sont réduits, ce sont ceux de la com et des marques. Le sujet majeur est donc de se positionner là où est la valeur et, je le répète, la valeur est avant tout d’ordre humain. J’ajoute que les bureaux intégrés de brand design chez l’annonceur sont de plus en plus nombreux, mais on travaille parfaitement bien avec eux. Il faut bien comprendre leurs attentes pour apporter un maximum de valeur. C’est aussi une opportunité extraordinaire de rappeler que la marque se forme et se transforme en apportant du progrès à la société, et, qu’en période de crise, on a vraiment besoin de la marque. Alors, oui, c’est dur, mais il faut savoir regarder le verre à moitié plein. Les annonceurs dans ces périodes agitées voient aussi la marque comme un levier structurant pour opérer une transformation, en prenant en compte de façon unique l’aspect social.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1372