Ryane Meralli, du cabinet Carler France, est une juriste spécialisée dans le droit des marques. Elle rejoint l’équipe d’Admirable Design pour partager quelques unes de ses connaissances avec vous.
Son premier papier concerne le dépôt des marques tridimensionnelles. N’écarquillez pas les yeux comme cela ! Lisez plutôt, Ryane y site des exemples pour que tout soit clair.
Il ne s’agit pas que de créer de jolies marques, encore faut-il les protéger, non ? Merci et bienvenue Ryane.
Alors lisez, la culture est à ce prix…
Marque tridimensionnelle
Parmi les différentes protections qui couvrent les droits, celle accordée par le droit des marques est la mieux élaborée, l’action en contrefaçon peut être menée rapidement et les dommages et intérêts peuvent être substantiels, d’où l’attrait cette protection plutôt que celle des dessins et modèles.
Qu’est-ce qu’une marque tridimensionnelle ?
Tous les signes peuvent être déposées à titre de marque, la loi prévoit bien les marques tridimensionnelles, avec la réserve que la forme en question ne doit pas être imposée par « la nature ou la fonction du produit ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle ».
La marque tridimensionnelle est constituée, non pas par un nom mais par une forme, souvent celle d’un produit ou de son emballage.
La marque tridimensionnelle, conformément à l’article 7 1 b du règlement sur les marques communautaires ou à l’article L 711-2 c) du code de la propriété intellectuelle, est par conséquent valable dès lors qu’elle n’est pas un signe constitué exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle.
La forme choisie doit être fantaisiste, et non dictée par la fonction du produit, pour être protégée ; ainsi il a ainsi été jugé qu’une semelle orthopédique n’était pas protégeable, à titre de marque tridimensionnelle, au contraire, la forme d’un savon, avec une concavité au centre et des rainures lesquelles ne sont pas imposées par la nature du produit, a été acceptée à titre de marque. (CJCE 16 février 2000, Procter & Gamble / OHMI, T-122/99, Rec._p._II-265). La forme pour être protégée doit être purement arbitraire.
Deux exemples : Kit Kat et Toblerone…
La décision des autorités communautaires (l’OHMI) du 10 décembre 2004 rappelle cette nécessité du caractère arbitraire de la forme. En l’espèce, Nestlé avait déposé la forme de son chocolat « Kit Kat » à titre de marque tridimensionnelle, celle-ci est constituée de quatre barres chocolatées, en forme de lingot, juxtaposées et séparées par une encoche qui permet de les diviser. L’OHMI a refusé l’enregistrement de ce dépôt, considérant que la forme du produit était imposée par sa fonction : les lingots sont fréquemment utilisés pour la commercialisation du chocolat et les encoches sont nécessaires pour rompre plus facilement les barres de chocolat. Ainsi, il n’existe aucune originalité et la forme constituée d’encoches se définit par sa fonctionnalité qui consiste à pouvoir diviser les barres chocolatées.
A contrario, la barre pyramidale de Toblerone pourrait bénéficier de la protection, certes les encoches sont fonctionnelles, mais la forme est elle bien arbitraire et distinctive. D’après nos vérifications, il n’existe pas de dépôt tridimensionnel effectué par Toblerone.
Nécessité d’originalité.
Les textes imposent que la forme du produit ne résulte pas de sa fonction ou de sa nature. La raison de ce refus est la volonté de distinguer nettement la marque tridimensionnelle, qui doit avoir un caractère original et arbitraire du brevet qui lui doit être purement technique qui protège la fonctionnalité du produit. Si le produit n’est pas uniquement fonctionnel, il devra se différencier des modèles couramment utilisés dans son secteur (OHMI 6 avril 2004, R 468/2003 à propos du briquet BIC). Accepter la protection d’une marque tridimensionnelle fonctionnelle reviendrait à substituer le droit des marques au droit des brevets et empêcher que l’invention tombe dans le domaine public. En effet, la protection accordée à l’inventeur d’un brevet est de vingt ans pour qu’ensuite, l’invention fasse partie du domaine public et profite à tous, alors que les marques sont elles renouvelables à l’infini.
Certes, il peut apparaître que certains signes ne relèvent ni d’une catégorie, ni de l’autre. Par exemple, les détergents pour lave-vaisselle ou pour lave-linge, de forme rectangulaire ou carré comportant une bille ou non en leur centre, n’ont été acceptés ni comme marque tridimensionnelle, ni comme brevet. Ils ne peuvent être considérés comme nouveaux au regard de l’état de la technique pour être protégés par un brevet mais leur caractère fonctionnel est trop évident pour pouvoir bénéficier du droit des marques. (CJCE 29 avril 2004 Henkel KgaA c. OHMI C 456/01 P et C 457/01 P)
Des cas de non validité de dépôt.
La Cour d’Appel de PARIS a elle, aussi été amenée à préciser que le caractère fonctionnel d’une forme devait s’apprécier au regard du résultat technique du produit : la société Philips avait déposé à titre de marque tridimensionnelle la photo et le schéma d’un rasoir électrique vu du dessus, de forme triangulaire, avec trois têtes de rasage. Lesdites marques ont été annulées par la Cour d’Appel puisque la forme revendiquée était exclusivement asservie au résultat technique recherché, à savoir raser sans abîmer la peau par l’intermédiaire de trois têtes de rasage disposées en triangle. (CA PARIS, 16 février 2005, Koninklinjke Philips Electronics c. Rayovac Europe Ltd, PIBD n° 808, III, p. 312). Par conséquent, la technicité du produit est un obstacle à sa protection par une marque tridimensionnelle.
C’est d’ailleurs pour cette raison que l’OHMI, dans la décision Kit Kat a pu rejeter le dépôt en affirmant : “plus le choix des formes est limité pour un produit de consommation de masse, plus il faut être exigeant au moment d’en apprécier le caractère distinctif. »
Il est parfois reproché, à l’Office communautaire des marques d’être trop exigeant face à un dépôt d’une marque tridimensionnelle, les demandes étant trop fréquemment rejetées. Il convient donc aux praticiens de vérifier, avant tout dépôt d’une marque tridimensionnelle, que la forme revendiquée n’est pas liée à la nature ou la fonction du produit.
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