Christian Guellerin, le directeur général de l’Ecole de Design Nantes Atlantique, est un rédacteur-essayiste, apprécié de nos lecteurs. Le taux de fréquentation de ses articles est toujours très élévé.
Nul doute qu’il en sera de même pour cet article qui remet en cause la relation art et design. Une question qui vous tarabuste, semble-t-il…
Pour Christian, l’affaire est entendue !
Je viens de lire le remarquable et très érudit article de l’historienne Micheline Girard – Design et art, quel lien ?. qui tente de rapprocher l’art contemporain et le design.
Mais, je suis surpris qu’il soit oublié la question économique, posée, et ce depuis l’origine, par le design et les designers. Celle-ci a toujours été au centre de la réflexion. Né de la révolution industrielle, le design est fondamentalement ancrée à la « chose économique » que ce soit au niveau de la production, qu’à celui, plus pertinent dorénavant, du marché.
Le design chez Renault, chez Lego, chez Nokia, chez Ikea, ou chez n’importe quel « packager » …N’a qu’un seul objectif : vendre plus, générer de la valeur ajoutée, créer du profit. L’art s’il n’est pas exempt des problématiques économiques et financières induites par sa diffusion notamment, n’a pas pour objectif primordial le profit. Encore que pour certains artistes…
Vouloir qu’un designer soit de près ou de loin un artiste ou que leurs pratiques soient comparables n’a de sens qu’à la condition de préciser que leurs objectifs sont résolument différents : un artiste fait des « objets », un designer des produits. Objet, produit, c’est la différence que nous apprend Duchamp, si justement. Prendre un urinoir et le mettre dans un musée, c’est distinguer le produit de l’objet. Duchamp est visionnaire, sa démonstration est évidente : certains, ceux qui n’ont rien compris, pourraient penser qu’il s’agit du même urinoir…Les initiés savent que comparer les urinoirs, c’est remplir à plaisir un tonneau sans fond. Autant discuter du sexe des anges…
Un artisan, relativement à la « création » d’une chaise, peut avoir la même pratique remarquable qu’un artiste ou qu’un Designer, ou même qu’à n’importe quel quidam qui achète du bois à « BricoDépôt » : Mais est-il pertinent de lier leurs pratiques ?
Pourquoi lier, en effet, les designers et les artistes comme pour faire croire qu’ils sont proches, similaires ou confondus ? Ce débat, c’est comparer les urinoirs.
Il me semble que Micheline Girard, historienne de l’art et du design, fait un contresens sur ce qu’est un produit. Pour le démarquer de l’« objet » de l’artiste, et pour en expliquer la pertinence, elle envisage le produit sous le seul angle rationnel d’une fonctionnalité distinctive et supplémentaire. Le produit est un objet, dont le sixième doigt serait la fonction. Ceci est malheureusement réducteur, et témoigne d’une approche parcellaire de la notion de produit voire partiale s’il s’agit de se défier de l’Economique.
Le produit est né de la révolution industrielle mais depuis, n’en déplaise, il a évolué : Le produit est une variable économique. C’est le résultat d’un « process » industriel certes, mais aussi, et de façon plus « contemporaine », l’un des éléments de réponse à un besoin de marché. Il n’a échappé à personne, sauf aux historiens de l’art peut-être, que le passage de l’économie de production à celle de marché a modifié la nature même de ce qu’est un produit. Que le produit ait une fonctionnalité ou réponde à un usage est la moindre des choses pour ceux qui le fabriquent ou le vendent : c’est probablement qu’ils ont compris qu’il était dans leur intérêt qu’il serve à quelque chose pour celui qui l’achète. Le client achète un produit sous l’angle du besoin qu’il en a ou de l’usage qu’il en fera…c’est une évidence.
Définitivement, le produit est « à vendre ». C’est l’une des variables du Mix-Marketing dont la pertinence se mesure en chiffres d’affaires. Un produit bien « designé » a cessé d’être prioritairement fonctionnel : c’est d’abord un « produit vendu ». Le produit a muté dans l’histoire : il est passé de la chaîne d’assemblage aux linéaires des magasins.
Il y a presque 50 ans, Loewy disait : « En matière de design, la plus belle courbe, c’est celle des ventes »….sauf à envisager que Loewy n’ait jamais été designer, ce qui est possible, il n’en est pas moins incontournable dans l’histoire du Design.
L’artiste crée des objets, le Designer crée des produits : la vertu du dernier est de replacer l’ « économique » au service du plus grand nombre et cela est vertueux. Si l’Ecologie a un sens, l’Eco-conception, l’économie solidaire, la responsabilité de l’entreprise, des marchés, des consommateurs, si toutes ces notions économiques ont un sens, celui du progrès, alors le rôle du Designer, quand il crée les produits de demain, est fondamental pour l’Humanité. Nous ne sommes plus à nous poser la question de savoir si sa pratique est « artistique ». L’enjeu est ailleurs.