L’homme et le futur du design…

Maxime Chenu nous soumet une réflexion sur l’évolution du rôle de l’objet (de l’outil au numérique), et de son rapport à l’homme. Dans la mesure où l’un change, n’entraîne-t-il pas l’évolution de l’autre ?

Et le rôle du design dans tout cela ?

Rares sont les essais sur le futur du design. Saluons celui de Maxime comme il convient.

Homme, objet, et design…

De l’objet de l’homme à l’homme objet…

En passant de l’objet traditionnel de l’âge de pierre à l’objet technologique, l’homme progressivement a compensé l’utilisation de ses propres forces par l’assistance technologique .

Une gestuelle minimale allait dès lors se substituer à celle de l’apprentissage, de l’adresse et de l’effort. Intervient ici la face visible du progrès : le design . L’objet technologique instaure une relation de contrôle par -et de- l’homme.

Cette nouvelle relation n’a-t-elle pas des conséquences intellectuelles, psychiques et physiques ou culturelles ? En transgressant les loi primaires qui régissaient son rapport à la matière, l’homme n’a-t-il pas subi lui même une mutation?
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En transformant notre imagerie et les gestes porteurs du lien qui unit l’homme à son environnement, nous sollicitons moins notre intelligence intuitive et émotionnelle au bénéfice d’une autre, formulée de manière abstraite et rationnelle . Une intelligence « new-tech » en quelque sorte …

Le design castrateur ?

Ecoutons Alain Baudrillard :

De tous les gestes rythmiques, la rythmique sexuelle est le modèle. Toute praxis technologique est déterminée par elle . Dans son livre « Les structures de l’objet », il compare les objets traditionnels à des phallus ou vagins vivants permettant de rendre lisible dans son obscénité, la dynamique pulsionnelle des hommes !.

Objets et outils traditionnels, parce qu’ils mobilisent le corps entier dans l’effort et dans l’accomplissement, recueillent quelque chose de libidinal profond de l’échange sexuel. Or tout ceci est découragé, démobilisé par l’objet technologique. allongew-2.jpg

La perte de l’objet symbole…

En 1995, à la Domus Academy, Andréa Branzi et Nancy Martin ont proposé un exercice à 63 élèves venus de 31 pays différents. Ils devaient édifier le modèle de l’homme du futur et construire des objets adaptés à un tel individu. Il en est ressorti le modèle d’un homme fuyant, indéterminé. Autour de lui évoluaient des objets ambigus aux designs animés d’énergies faibles, dans des lieux sans identité, dans une métropole vague et froide…

Similaire à l’exercice pédopsychiatrique « la maison maternelle » (demander à des enfants de dessiner une maison), la disparition des éléments relatifs à l’objet traditionnel exprime selon les psychiatres, la frustration d’une dimension symbolique de la reconnaissance. C’est dans la connivence profonde, la perception viscérale de notre propre corps, que nous serions ainsi déçus par l’ordre moderne de l’objet technologique : nous n’y retrouvons plus grand chose de nos propres organes ni de l’organisation somatique. couvw-2.jpg

Cette perte d’identité du corps n’est que la manifestation des troubles d’un corps devenu lui même objet, dénaturé et mis à distance de ses émotions et de son désir. Sa représentation publicitaire à but mercantile en est le meilleur exemple, s’appuyant sur cette névrose . Selon Samuel Lepastier, psychiatre psychanalyste et enseignant à l’université de Paris-5, le corps véritable est mis à l’écart. (…). Une effigie n’est pas un corps. Etre excité par une photo est aussi une façon de se détourner de la femme ou de l’homme de chair. Laetitia Casta, se regarde, mais ne se touche pas.

Les conséquences sont d’empêcher la pensée, qui naît toujours de perceptions corporelles .
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Le design et le corps…

Le corps devenu objet est une réalité physique, modifiée dans son esthétique à coup de bistouri et de liposuccion. En quoi Cher est-elle encore désirable ? Ne parlons pas de Michael Jackson dans sa tentative de designer son propre corps…

Le corps tend à vouloir ressembler à ces icônes sur papier glacé véhiculées par les médias. Un corps à la fois voluptueux et anorexique, androgyne et déesse mère, fantasmé mais irréel et donc totalement inaccessible… sans recours à la chirurgie esthétique. Un corps anatomique, mais pas un corps du désir. C’est là une nouvelle façon de voiler le corps érotique et le plaisir qu’il procure.
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Par sa perfection des lignes, le design ne se trouverait-il pas lui aussi dans ce rôle d’accusé ?

C’est ici que surgit un nouvel intervenant : l’éthique.

Le design du futur.

Chris Hables Gray, chercheur généticien en industrie et nanotechnologie, annonce que nous nous dirigeons vers une société «post-humaine » due à un total bouleversement de notre rapport à l’objet qui modifie notre relation au corps et à l’environnement. Déjà, selon lui, nous ne sommes plus humains dans le sens premier du mot !!

Nous avons vraiment besoin de réfléchir à ce que nous faisons nous dit Jacob Dahl Rendtorff, scientifique biotech à l’université de Roskilde au Danemark. Le design doit nous interroger sur ce qu’est un être humain de nos jours. Ce que cela signifie. et ce que cela va signifier dans les décennies à venir, puisqu’une prochaine révolution technologique et scientifique est en cours …

A chaque étape scientifique franchie, le temps nécessaire pour doubler les énoncés du savoir est divisé par deux; en 2020, le savoir doublerait tous les 72 jours, puis tous les 36 jours … Une avancée ultra rapide en informatique permettrait la compréhension et la modélisation du vivant, la fusion entre la technologie et le vivant ! Dans quelques décennies se prépare l’émergence d’une civilisation de tous les possibles, un monde virtuel explorant d’autres dimensions que l’espace temps (4 dimensions)..

Dans un contexte aussi vertigineux, le design n’aura plus la même vocation que lors du siècle précédent : Il devra tenir compte des problématiques soulevées par les technologies et sciences à venir, dépassant très largement notre potentiel actuel, et y apporter des réponses. La définition des cadres éthiques constituera donc un enjeu essentiel du design du 21ème siècle. Une réflexion qui doit être amorcée dès aujourd’hui par une nouvelle approche du design.