Après avoir étudié le design raté, Alain Meunier, notre sociologue maison, se penche sur l’universalité du design. Le rêve de tous est de créer l’objet qui serait accepté de tous les individus de la planète.
Oui, mais, l’individu en question, n’y est pas prêt et ne le demande même pas.
Docteur Meunier, expliquez-vous…

POURQUOI LE DESIGN NE PEUT PAS ETRE MONDIAL…
Peut-on créer pour tous les marchés ?
Certains définissent le design comme l’art de transformer un positionnement marketing stratégique en un univers vers lequel le consommateur va se diriger, se projeter et se reconnaître.
La neuropsychosociologie nous enseigne que ce mécanisme qui permet de déclencher des approches ou des retraits à partir de données visuelles est celui de l’émotion.
Malheureusement ce langage n’est pas un ‘espéranto’. Chacun d’entre-nous ne réagit pas en effet de la même manière en face d’un stimulus (objet, forme, couleur…). Des objets attireront certains d’entre nous et en laisseront d’autres tout à fait indifférents, voire, les verront se détourner. Les créateurs designers peuvent-ils donc créer tous types d’objets et pour tous les marchés ? Ou sont-ils condamnés à créer dans un univers donné et si oui lequel ?

Le mécanisme du « j’aime-j’aime pas ».
Nous savons aujourd’hui, que les structures du cerveau qui contrôlent la régulation des émotions se développent lors de notre prime enfance juste avant notre langue maternelle.
C’est aux travers de nos premières expériences de découverte de l’univers qui nous entoure alors (nos premiers pas) et dans la relation à la mère ou à la nourrice (regards, sourires) que se forge la structure de notre architecture émotionnelle. L’envie de récompense, la peur de la punition sont les deux temps de notre énergie et de notre mémorisation affective. Cette architecture est fondamentale pour le design, car c’est elle qui conditionne nos positions du type ‘j’aime – j’aime pas’.
Cet univers de la prime enfance (1à 3 ans) est fortement individualisé. Il est celui de notre environnement physique et social d’alors. Notre mère, nos frères et sœurs, nos collègues de crèches, nos proches d’alors nous ont transmis indirectement leurs réactions d’approches et d’évitement. Ils nous ont transmis leur amour pour des pratiques, pour des objets, des produits. Ils nous ont aussi transmis leurs répulsions pour d’autres. Nos joies et nos peurs de l’époque ont crées notre mémoire affective et nos prédispositions d’aujourd’hui. Le facteur culturel y est primordial, essentiel. Un enfant élevé dans un village africain ou afghan, du fait de son environnement différent aura une architecture affective différente d’un enfant élevé au cœur de Manhattan ou de Paris. Il réagira émotionnellement différemment en face du même stimulus visuel. La même bouteille de Coca-Cola n’aura pas la même signification pour l’un ou pour l’autre.

Quand la mode est moins importante que nos souvenirs d’enfance !
Mais, comme pour notre langue maternelle, si l’architecture émotionnelle d’un individu est forgée durant la prime enfance, sa totalité n’est pas définie à cette époque. Le processus de régulation émotionnelle devient mature par la suite. Les expériences émotionnelles de l’adolescence ou de l’age adulte modifierons l’architecture, des phobies notamment peuvent se rajouter. Des informations cognitives qui vont influencer les choix, sont acquises par la suite : l’efficacité, le coût, la mode…. Mais toutes ces modifications resteront marginales. Certes un objet peut évoquer un univers parce que la publicité a crée ce lien, parce que la répétition a crée la mémorisation, parce que l’usage a crée la mode et la valorisation sociale. Mais ne sortons nous pas alors du design ou plutôt ne sommes-nous pas sur la création d’effets artificiels nécessaires au design « raté » ou « banalisé »?

L’achat identitaire.
Le phénomène d’achat identitaire, la recherche de la valorisation au travers de la mode renvoient directement à ce que l’on ressent (notre architecture affective) et non à la publicité qui elle, mobilise au travers de ce que l’on sait (processus cognitif).
C’est de cette mobilisation des données affectives que provient le besoin ou la force d’adhésion de ce qui fait « bouger » le consommateur. Donc, l’essentiel de la réaction d’approche ou d’évitement face à un produit ou à un univers de marque provient principalement de cette architecture affective !
Contrairement à l’énergie cognitive, l’énergie émotionnelle est libre, gratuite, durable mais locale, culturelle et individualisée. Il ne peut donc pas y avoir de design universel.
Par voie de conséquence …le meilleur designer, capable de mobiliser cette énergie , sera donc celui qui la possédera lui-même !
Quand au designer universel il n’est que pure invention. Les cas de succès universel de produits ne peuvent s’expliquer sans les aides locales correctrices de la publicité.
