Tintin : les secrets des signes et symboles

Jean-Jacques Urvoy, est consultant en design. Il fait souvent appel à l’analyse sémiologique et symbolique pour l’analyse d’images. Mais ici, il propose à Admirable Design une lecture originale de Tintin.

Avec les questions qu’un designer cultivé doit se poser :

Pourquoi, récemment, un collectif d’une vingtaine d’écrivains renommés raconte en quoi ces auteurs ont été marqués par Tintin ? (1)

Qu’est-ce qui explique que Michel Serres, philosophe académicien, a consacré un ouvrage à Hergé. (2)

Pourquoi, finalement,Tintin, « marche » mondialement, quels que soient les cultures et les pays ?

Tintin : un héros ésotérique …

_ Hergé sait, certes, raconter des histoires et dispose de qualités graphiques géniales. Il sait donner de l’épaisseur à ses récits et inventer des personnages, autour du héros principal. Hergé est l’inventeur de la « ligne claire », qui consiste à contenir d’un trait de largeur constante des aplats de couleurs franches.

Mais l’explication ne suffit pas : l’ésotérisme règne donc dans les aventures de Tintin. Les mythes, les symboles, les rites s’y déploient. Hergé était fasciné par l’œuvre de Jung, pour lequel l’inconscient n’est que le reflet de vérités intérieures. On peut presque imaginer qu’Hergé a volontairement disséminé des signes, leur donnant du sens.

Des héros qui ne doivent rien au hasard …

Les héros Haddock-Tintin-Tournesol, ces trois personnages cohabitent chez Hergé.

Haddock tout d’abord : agité, aveugle, avec des défauts (braillard et sans écoute de l’autre), il suit Tintin, contre son gré dans chaque aventure qui est pour lui une initiation, une découverte.

Tintin cherche à améliorer l’humanité, agit avec les autres, est toujours en action, en voyage, et en questionnement permanent. Il se met en danger pour les autres.

Tournesol, dont le nom est lié au soleil donc au divin, est dévolu à la réflexion. Il n’a plus d’illusions, vit dans son monde à lui, rayonne d’intelligence et de sagesse.

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Une œuvre de sens…

Lorsque j’ai 8 ans, on m’offre « Le Lotus bleu ». Je dévore cet album, d’un trait. Pour moi, c’est une révélation : la découverte du fait qu’il existe un ailleurs : d’autres pays, des pays lointains, d’autres gouvernements, la SDN, la découverte de la guerre, de l’Asie, de l’histoire, de la drogue. La découverte d’un héros mais agissant comme un adulte, défendant le faible contre l’oppresseur.

L’œuvre d’Hergé est d’abord cohérente, en ce sens qu’elle génère son propre registre symbolique en apportant du sens. Or un « dénicheur de sens » (un sémiologue, mais aussi : un journaliste, un psychanalyste, un designer, un architecte, un artiste,…), constate que très souvent, rien n’est dû au hasard dans les Aventures de Tintin.

Tintin, c’est une épopée, une grande aventure , un grand conte, reflet de l’évolution personnelle d’Hergé qui s’est toujours situé sur un chemin d’un tintin-statuew.jpgquestionnement permanent, à l’écoute des autres, fidèle en amitié, respectueux de ses engagements. Toujours sur un chemin qui l’élève : dès qu’il prend conscience du milieu bourgeois et « fascisant » dans lequel il vit, il rompt avec lui, se retire en Suisse 2 ans, où il écrit Tintin au Tibet, divorce… Il n’a de cesse de critiquer les dictatures (directement dans ses albums), se met en rupture par rapport à l’art, pour commencer à ne collectionner que des œuvres abstraites – ce qui donnera l’Alph Art – ,…

…et d’une grande cohérence symbolique.

Hergé injecte désormais, dans ses histoires, une cohérence symbolique : un héros, un faire-valoir, des personnages bien campés ; la quête d’un trésor, d’un Graal.

Concentrons-nous sur Le Secret de la Licorne, le Trésor de Rackham le Rouge, et les 7 Boules de Cristal suivi du Temple du Soleil. (3)

La structure des quatre albums est faite d’une énigme, d’un voyage, d’un trésor. Cela évoque les initiations : l’impétrant est d’abord confronté à l’obscurité, loin des siens : bois sacré chez les africains, chapelle pour le chevalier. Puis à des voyages, lors de ses initiations, puis à la découverte d’un trésor, souvent caché au fond de lui-même : c’est le retour sur soi, comme le trésor de la Licorne était finalement caché dans le château, alors que Tintin a fait le tour du monde pour le trouver : le secret de soi se trouve en soi !0,

A la fin du « Trésor de Rackham le Rouge », Tournesol entre dans la crypte du château de Moulinsart, acquis grâce à ses inventions. Il marche vers le trésor avec son pendule, en franchissant solennellement un portail comme on franchit les portes lors d’initiations. On retrouvera une autre évocation du temple, à la fin du « Temple du Soleil ». La voûte et la croix sont également deux symboles qui revient beaucoup dans ces deux albums.

Les « 7 boules de Cristal » et le « Temple du Soleil » procèdent du même registre. Sept boules de cristal, dont la couverture est un carré, associé à la terre et au chiffre 4, surmonté d’un cercle de feu, le ciel, associé au chiffre 3 (4+3=7). La composition évoque aussi une élévation vers le ciel. Tournesol en est le Maître.

Dans cet album, Tintin monte également les 7 marches qui montent à l’autel du Temple du Soleil après avoir franchi 7 vallées.

L’alliance de l’ombre et de la Lumière est partout présente dans le « Temple du Soleil », jusqu’à l’éclipse finale. « Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face », disait Pascal : Tintin ose pourtant le faire, à la fin du « Temple du Soleil », comme s’il était mûr pour l’ultime initiation, la rencontre de la mort et du soleil.

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Une véritable œuvre universelle …

L’œuvre d’Hergé est universelle parce qu’elle contient des symboles, des mythes (le mythe universel du héros), du sens. Mettre du sens dans un récit, dans un groupe humain, dans sa vie, dans sa tête, c’est déjà accéder à l’universel.

Hergé a interdit à quiconque de poursuivre son œuvre…

Pourquoi ? Alors, qu’il aurait aimé continuer à raconter de belles histoires, comme tant d’autres scénaristes et dessinateurs ? Et pourquoi également ne ressent-on pas cette unité et cette universalité dans les imitations posthumes d’Hergé, même quand celles-ci sont très bien dessinées ?

La preuve qu’Hergé est le seul à détenir le secret symbolique… des aventures de Tintin ?

(1) Télérama spécial Hergé, février 2003
(2) Michel Serres, Hergé mon ami, Moulinsart Ed.
(3) Ce paragraphe et d’autres aspects) réfère à Jacques Fontaine, Hergé chez les Initiés, Dervy Ed.

(4) Numa Sadoul, Entretiens avec Hergé, Casterman Ed.