Ratp et … design…

_ La Ratp et le design ? On n’y pense pas spontanément, osons le dire. Pourtant notre reporter Fabrice Langlais a rencontré Yo Kaminagai, un Japonais qui a fait reconnaître le design dans cette immense entreprise. Un rôle pas évident, mais qu’il assume avec humilité… et détermination…

Le résultat ? Ce service public vient de recevoir l’Etoile de l’Observeur du design 2005* ! Découvrez avec Admirable Design la modernité de sa réflexion design et de ses applications.

Un exemple à méditer, comme on dit …

Une coupe de la station Météore

Design Ratp, design pour la vie urbaine

Yo Kaminagai dirige l’Unité Design & Projets Culturels à la RATP. Cet ingénieur nous livre ici une vision du design, qu’il a peut-être hérité en partie de son père, un artiste-peintre japonais qui a vécu autant au Brésil, en Indonésie ou en France qu’au Japon. Rencontre avec un passionné patient pour qui design rime avec sensible et humain.

Yo Kaminagai

Admirable Design : la Ratp et le design, c’est déjà une longue histoire…

Yo Kaminagai : depuis l’origine, l’entreprise a fait du design sans le savoir. En 1889, quand le patron de la nouvelle Compagnie du Chemin de fer Métropolitain de Paris a fait appel à Hector Guimard pour les entrées du métro, c’était significatif et novateur. _ Cela traduisait une volonté d’inscrire le transport parisien dans le paysage urbain de son époque. Il y avait déjà une volonté de rendre ce type de déplacement agréable et de communiquer un message vers le grand public. Tout était déjà là : un brief, un casting, une méthode, un concept, un déploiement industriel.

Un design identitaire...

AD : Avec un tel passé, comment s’est organisée l’action du design dans cette entreprise publique ?

YK : nous sommes héritiers de l’histoire de l’entreprise. Après les entrées Guimard du début du 20ème siècle, on peut citer de nombreux évènements qui ont jalonné l’évolution de la RATP, de son architecture et de son design : la qualité esthétique du réseau concurrent Nord-Sud en 1910, les autobus à plate-forme des années 30, l’aménagement des grandes gares du RER dans les années 60, l’ambition du projet Météor en 1990, le grand programme du Centenaire du métro et aujourd’hui les multiples projets de tramway sont autant d’étapes incontournables qui ont contribué à installer progressivement la place du sensible dans l’entreprise.

Ces projets sont le fruit de dirigeants « éclairés » qui se sont succédés à la tête de l’entreprise et ont fait œuvre d’architecture et de design en donnant une vision moderne du transport toujours respectueuse du patrimoine.

Dans cette lignée, le design de la Ratp tend aujourd’hui à rendre le transport du voyageur agréable en privilégiant la facilité d’usage dans des environnements dotés d’une qualité émotionnelle.

Ce qui se traduit dans la recherche du confort, le plaisir de l’œil et de l’oreille, la sensation de rythme, de mise en scène et de récit, la maîtrise et l’harmonie de parcours.
Notre démarche embrasse l’ensemble de ces éléments avec les différents métiers du sensible, pour que l’expérience du trajet soit ressentie par chaque voyageur comme positive et non comme un moment agressif et angoissant.
Accueil clients. Un des prix Ratp de l'Observeur

AD : Comment se définit le design management dans cette grande maison ?

YK : L’objet de notre travail de design, c’est de forger un espace de transport qui, paradoxalement est fait de vide. Notre base de travail, c’est de construire le ressenti de chaque personne. Dans cette logique, et à l’échelle foisonnante de la Ratp, le risque c’est de ne plus maîtriser le degré de désordre.

Certes, l’ordre parfait pourrait rassurer mais il est très difficile à pérenniser. Il nous faut gérer les degrés d’ordre/désordre en matière de signes, de styles, de hiérarchies, de combinaisons, pour produire un design qui puisse être au service de notre mission première : le transport de millions de personnes dans les meilleures conditions.

Dans l’instant, le public juge l’entreprise sur la performance du service rendu (fluidité, régularité, fiabilité, adaptabilité…). Mais à moyen et long terme, il la juge aussi sur son ressenti durant son déplacement, sur la qualité de son « expérience-client ». La Ratp, en utilisant le design, doit faire en sorte d’être plus utile dans le service qu’elle propose et plus humaine dans ce moment peu naturel que constitue le voyage collectif, souvent souterrain, dans un espace confiné.

Cet « espace de transport » (mot apparemment banal mais désignant un lieu fortement chargé de règles cachées, de rituels partagés) dispose d’une force symbolique considérable : imaginer que dans quelques mètres carrés, se retrouvent des personnes d’origines sociales très différentes, parfois même incompatibles, mais de façon régulée. On devine qu’il y a un véritable acte d’allégeance, comme une loi invisible à laquelle les voyageurs obéissent.

Pourquoi, comment, quelle organisation visuelle, sonore, tactile, doit-on mettre en place pour que cet espace de transport fonctionne au mieux ? Ce sont là les sujets sur lesquels nous aimons travailler.

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AD : comment cela se traduit dans votre quotidien ?

YK : l’unité Design & Projets culturels, d’un peu moins de 15 personnes, assure le pilotage et la cohérence des différents projets de développement de produits, dans le cadre d’une politique où la qualité des espaces de transport constitue une des finalités stratégiques de l’entreprise.

Nous collaborons avec des unités situées dans l’ensemble de l’entreprise, soit avec peut-être une centaine de personnes qui se retrouvent impliquées dans la gestion du sensible au travers de leurs activités techniques.
L’unité Design & Projets culturels tire une partie de sa force et de sa légitimité de son positionnement transversal, au service de tous les modes (métro, bus, RER, tramway) et de tous les métiers (ingénierie, exploitation, maintenance, communication, commercial …). admirable_design_navigo.jpg

Le travail consiste pour nous à écrire à chaque fois un cahier des charges soigné, d’instruire les processus de décision conduisant à choisir les bons projets de design (par des consultations, des jurys, etc …) puis à assurer le pilotage des études de design dans le cadre du processus de management de projet de l’entreprise. Nous veillons à ce que chaque projet intègre les objectifs d’usage et de sens en réponse à l’attente des voyageurs et aussi des clients institutionnels.

C’est pourquoi nous devons intervenir le plus en amont possible pour stabiliser le design à temps et garantir un minimum de dérive en coûts ou en délais dans les projets. Cette implication dans l’opérationnel permet de diffuser cette approche du sensible dans l’ensemble de l’entreprise. Pour que chacun puisse agir ultérieurement à son niveau, à chaque instant.

C’est un véritable travail d’Assistance à la Maîtrise d’Ouvrage, mais également de « maïeuticien » au sein de l’entreprise.

Station décorée pour le centenaire de la Ratp

AD : Pourquoi cette articulation design & culture ?

YK A la Ratp, le design management vise à réintroduire une émotion positive et de bien-être dans les déplacements. On ne vise pas à faire des espaces de transport un lieu de loisirs mais un lieu à vivre.

L’espace public, dont nous avons la charge, est un outil éminent de lien social, qu’on ne peut bonifier qu’au travers d’une approche multidisciplinaire. Réfléchir par le design permet pour nous de penser notre cadre de vie, le cadre dans lequel un piéton, un individu, une personne va se déplacer.

A partir du ressenti du voyageur, l’objectif de la RATP est de satisfaire une exigence « sensible » : parce que tous les sens sont sollicités dans le trajet et que cela permet de toucher la personne qui est dans chaque voyageur.

Vous comprenez bien que la dimension culturelle s’impose d’elle-même : l’inscription de notre politique de design et d’architecture dans le patrimoine et l’histoire des transports publics franciliens et son ambition à projeter le transport dans son époque, dans sa modernité, constitue un enjeu culturel.

C’est donc sur la base d’un raisonnement de fond que s’est mise en place à la RATP une action culturelle qui ne se limite pas à des ré-actions face à des opportunités mais qui se traduit en une politique construite sur la base d’une stratégie.
En tant qu’acteur important de la culture urbaine, notre action se décrit donc par deux axes complémentaires :

– une politique de design et d’architecture, qui traduit cette participation culturelle active, en faisant appel aux créateurs contemporains pour la modernisation et la création de l’univers offert aux clients ;

– une véritable programmation culturelle cohérente.
Station Arts et Métiers

Nos opérations visent autant la valorisation du patrimoine que leur animation, la mise en scène des stations ou des installations culturelles dédiées.
Ainsi, au moment du Centenaire du Métro, une des actions phares a consisté à installer une œuvre d’art public de Jean-Michel Othoniel sur la Place Colette, à l’accès à la station Palais-Royal, devant la Comédie Française. Ce « Kiosque des noctambules » s’inscrit dans la modernité d’une évolution urbaine ainsi que dans l’histoire de la société.

Design de panneau extérieur

AD : Nous avons compris l’importance des arts, de la culture, du transport sensible, mais quel sera le visage de la Ratp dans le futur ?

YK : résolument humain. Lorsque nous demandons à un artiste une œuvre, ou à un designer un produit, nous invitons à une rencontre entre l’auteur, un contexte, un public. Nous valorisons le mode de transport dans l’imaginaire de chacun, avec des points de repères originaux et forts dans le paysage.

Le rôle de la RATP n’est plus aujourd’hui uniquement de rendre accessible le travail, l’éducation, les loisirs. Elle accompagne désormais la mobilité de chacun, qu’elle soit physique (d’un point à un autre) et mentale (changement de rythme, de situation …). Pour que ces changements ne se traduisent pas en stress, l’univers du transport doit intégrer des objectifs d’émotion, d’image, de mise en scène.

Le design peut orchestrer la rencontre entre les arts et l’ingénierie dans les formidables théâtres que sont nos espaces de transport et plus particulièrement les stations du métro.

Les projets importants vont apparaître dans les prochaines années donneront l’occasion de souligner combien le transport participe à la culture de chacun, à la culture de la ville et de l’époque. Il appartient au design de l’exprimer de la façon la plus saillante possible …

* l’étoile de l’Observeur du design 2005 décernée pour les interfaces écrans des nouveaux automates de la RATP, design de
l’agence Attoma, qui a conçu, réalisé et accompagné ce projet