Populaire, le design ?

Le design, tout le monde (ou presque) en parle, mais il est loin d’être populaire et c’est bien dommage… Pour beaucoup, le design est « Art », est « création ». Il reste pourtant un acte marchand, le design est commerce.

Retour sur quelques signes analysés par François-Xavier Bellest, sémiologue qui livre ici son premier papier pour Admirable Design.

Un papier à imprimer et à lire pour enrichir votre argumentation professionnelle…

Bienvenue à François-Xavier !

Design. Donner une définition, en français dans le texte, serait bien hasardeux, périlleux… Ce mot entre en action dans de nombreux domaines, alors qu’il est aussi et peut-être avant tout une discipline…

Dans un passé, pas si lointain, on ne parlait pas de « design », mais de dessin, d’esquisse, de projet, d’un graphisme, de logotype, d’emballage (hier, l’anglais packaging n’était pas utilisé)….
Un packaging japonais

Côté packaging

Côté emballage, je pense que les entreprises ont mis du temps à comprendre son importance… Le consommateur achète le contenu, alors qu’il n’en voit pourtant que le contenant. Avant de découvrir le produit en tant que contenu, l’emballage est alors « véhicule » de vente du contenu auprès du consommateur. L’emballage est bien alors média. En ce sens, l’identité de la marque a de la valeur.

Côté packaging donc, le design revêt toute son importance sans le dissocier du marketing et de la communication. Les uns ne vont pas sans les autres, bien qu’il soit encore difficile de faire travailler des populations, des métiers qui s’ignorent…

Trop souvent encore, on veut dissocier le design de ce qu’il l’entoure. Dissocier les praticiens du design de leurs environnements de marchands… Car le design, c’est un acte marchand. C’est du commerce, quoi qu’on en dise… Même si la presse (grand-public et professionnelle) utilise les jolies expressions « le design est culturel », « design culturel », cela ne reflète pas la réalité. La culture du design existe bien et le design reste marchand avant tout. Ne pas le considérer en tant que tel, provoque une idée fausse chez les consommateurs : le design est rare, cher, inabordable, réservé à un élite, etc… Trop souvent, quand on parle de design, on pense mobilier, on pense aux prototypes des industriels automobiles ou au rayonnement planétaire de Philippe Stark. Trop souvent, on pense que le design est décoratif ou qu’il sert à vendre plus cher…
Faux… !

Le design est partout. Il est dans la rue avec un simple panneau d’information, dans un jardin avec un banc, un sécateur, une brouette, dans les champs avec un tracteur agricole, sur la table avec un service de verre, dans un salon avec un canapé, dans les voitures, les trains, les avions. Sans oublier qu’il est aussi dans nos rêves aussi… Qui n’a pas rêver que tel ou tel objet soit dans une autre forme, utilsable autrement… ?
Les acteurs du fashion design...

Designers célèbres n’est pas design…

La « presse », grand public surtout, ne favorise pas à rendre le design populaire, le « politique » non plus. Tous les deux confondent les designers célèbres et l’univers du design. Les premiers signent des objets ou des concepts produits en petite quantité (voire en séries très limitées) avec ou non une innovation. Le second regroupe notre univers de tous les jours, un univers populaire fait de fonds et de formes… Les acteurs de la Haute Couture et du prêt-à-porter ont d’ailleurs observé ces phénomènes de confusion il y a quelques années encore.

Le design ne peut être donc dissocié du marketing, de la communication… Et tous les métiers du design, du marketing, de la communication et bien d’autres domaines encore doivent nécessairement travailler de concert

Design et communication sont les deux acteurs pour exprimer la marque en tant que telle. Une marque vit à travers le temps, les cultures, aux courants les plus divers, à la vie ! Elle nécessite alors d’être adaptée pour son consommateur à son besoin, aux tendances, quelquefois aux modes… Et là, le rôle du designer est important ! Aussi important que l’agence de communication, qui elle, va travailler sur l’actualité de la marque.

Le designer se place toujours dans l’univers de la marque pour la marque. Le publicitaire se place, lui, dans l’univers d’une idée qui va faire émerger la marque. C’est très différent ! Et là aussi la Presse ne contribue pas à faire cette distinction, pourtant extrêmement importante.
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Publicité et design : duel ou duo ?

Beaucoup trop d’entreprises confondent les deux environnements, les deux métiers, même s’ils doivent travailler ensemble. Certes, je le reconnais, et pour avoir eu une expérience en agence. Il reste très difficile de faire travailler ces profils ensemble. Bien souvent, les uns manquent de respect pour les autres. Bien souvent, les uns ne veulent pas accepter le savoir de l’autre. Bien souvent, les uns campent sur leurs positions qu’ils défendent comme étant leur création et ne veulent pas d’un intrus qui vient remettre en cause leur travail. Sauf, trop rarement, à ce que cet intrus ne fasse pas partie du groupe en tant que tel…

En tant que sémiologue, je travaille derrière la marque pour la marque. Parfois quand je parle de mon travail à des non connaisseurs, leurs réactions me font toujours sourire. Ils ne voient que la partie émergeante, la création publicitaire, mais non tout le travail en amont. Par exemple, quand je crée un nom de marque, j’encadre aussi les créatifs designers et publicitaires pour donner une « âme » vivante et visuelle au nom. Trop souvent, on me prend pour celui qui a créer l’environnement visible (la publicité) et non pour le créateur du nom en tant que tel… Qu’importe ! L’objectif reste à ce que la chaîne formée de tous ses maillons sert la marque.

Certes, tout cela à un prix. Toute peine mérite salaire… Ne doit-on pas mettre les moyens pour faire vivre sa marque auprès des consommateurs plutôt que risquer de perdre un marché au profit d’un concurrent qui viendra anéantir vos efforts ?

Certes, tout cela engage beaucoup de profils, beaucoup de métiers… Mais n’est-il pas sage d’employer le bon métier où chacun a sa place, son rôle ? Trop souvent, on a tendance à vouloir faire tout, vite fait, par des personnes qui n’ont pas la culture, le savoir-faire, la connaissance, la compétence…

Qu’il s’agisse d’industriels, de sociétés de services, d’agences de design, de cabinets d’architectes, de groupe de communication ; il ne devrait pas y avoir d’hésitation à employer des profils atypiques qui pensent, qui réfléchissent, qui émettent des idées, des signes… Je ne dis pas cela parce que je suis sémiologue et que mes recommandations sont reconnues comme pertinentes. Je pense aussi aux sociologues, aux ethnologues, anthropologues, symbolistes, écologues que les entreprises et agences n’ont pas le « réflexe » d’associer à leurs problématiques.

Un discours vaut une création, une création vaut un discours…

Les entreprises sont encore trop souvent fébriles et impatientes de découvrir « la » création (visuelle, palpable), alors même que c’est la prospective, la réflexion, la recommandation stratégique qui mène a cette création qui est la plus importante. Cela peut être long, cela a un prix, mais c’est aussi un gage de sérieux. C’est un gage pour l’entreprise et pour le consommateur que la problématique a été « triturée » afin d’être comprise. … Stratégie, mise en mot de la stratégie, mise en scène de la stratégie, explication des symboles, des signes : « Un discours vaut une création, une création vaut un discours ». La création est la partie visible de l’iceberg et c’est elle qui fait l’objet de critique, de reconnaissance, de déni. Sans prendre en considération tout le process pour arriver à ladite création, tous les projets de Design, de Marque, de Produit perdent leur sens. L’un ne va pas sans l’autre. L’un donne la profondeur à l’autre.

Alors ! Que faire pour rendre au design ses lettres de noblesse et obliger les acteurs des métiers directs et indirects à se comprendre, à échanger, à vivre sous un même toit ? Que faire pour faire reconnaître les métiers du Design et de la Marque ? Que faire pour faire comprendre ce qu’est le design à une population qui le vit tous les jours, en toute ignorance ? Nous sommes en 2005 et la France ne fait rien n’ait fait en ce sens. Cela doit être l’exception culturelle française…

Le Cercle du design : la déception.

Pour être adhérent du Cercle du Design et de la Marque, je reconnais que la tâche est vaine. À sa fondation, ce Cercle avait pour vocation de rassembler à Paris, les uns et les autres acteurs du Design et de la Marque. Depuis un an, cela patine… La fédération des acteurs ne fonctionne pas… Peut être tout simplement parce que si l’idée de départ était la bonne, la réalité d’aujourd’hui est tout autre. Querelle de métiers, querelles d’organismes, querelles de gens qui s’ignorent alors qu’ils travaillent tous pour un bien commun des consommateurs : la marque, son design, sa communication.

Ne suffirait-il pas, plutôt qu’un Cercle, plutôt qu’un Centre, plutôt qu’un Institut, plutôt qu’un Syndicat, d’une simple « Maison » où tous ces organismes vivraient sous le même toit ? Une « Maison du Design », en plus l’appellation est jolie !… N’existe-t-il pas la « Maison du Train », la « Maison du Lait », la « Maison de la Danse », la « Maison des Ecrivains », etc.
Le Design Museum de Londres

Une Maison du Design ?

Une Maison du Design, à Paris ? Ailleurs ? Quand on entend « Design » en Europe, on pense Milan. D’ailleurs on parle du « Salon de Milan » car il y a une formidable implication de toute la ville autour de cet événement. La France devrait se doter d’une manifestation, d’un point d’ancrage aussi fort que ce que les Italiens ont réussi à faire ! Et si ce n’est pas Paris, qu’à cela ne tienne, je reste persuadé que d’autres villes ont toute la légitimité pour initier ce « chantier » car la tâche sera dure… Une « Maison du Design » pourrait devenir le carrefour où tous les acteurs., oui ! J’écris bien là tous les acteurs ! Les indépendants comme les structurés, les commerçants comme les industriels, etc ! Ces acteurs pourraient alors confronter leurs points de vue ; débattre des métiers et des perspectives, des professions, des métiers, des archives, des savoir faire, etc. Faire connaître et reconnaître le Design en France, parent pauvre qui pourtant représente des milliers de salariés et d’indépendants, des milliards d’euro de CA…

Sommes-nous si rétrogrades que nous n’avons toujours pas intégré que le Design est un acte marchand ?

Personnellement, je pense qu’il faut sortir le « Design » de son aura du politiquement correct. Les acteurs doivent assumer ce qu’ils sont et ce qu’ils font. Leur avenir en dépend. Car, et là, j’aborde le point de vue financier… A force de réduire le coût d’une prestation intellectuelle, nous tuerons le métier, nous tuerons la connaissance… et la transmission du savoir-faire sera vaine.

Par ailleurs, je soulignerais qu’il serait intelligent d’inscrire le Design dans l’actif de l’Entreprise comme un know-how ; et non le réduire à une simple dépense dans la valeur financière d’un prix de revient. Nous devrions éduquer les financiers à valoriser cet aspect bien distinctif dans la marque.

La France compte d’excellents créateurs et une très profonde culture. Notons que beaucoup de designers étrangers viennent en France étudier, apprendre, mais aussi commercialiser… Notons que nous avons encore un fonds culturel qui n’a rien d’une exception culturelle, mais nous manquons de maturité pour emmener les générations futures vers une reconnaissance populaire de nos métiers.