Enseigner le design ?

Christian Guellerin, président de Cumulus – réseau international d’universités et d’écoles de design, art et média et directeur de l’Ecole de Design Nantes Atlantique, apporte à Admirable Design une réflexion approfondie sur le futur de l’enseignement du design.

A en juger par les taux de fréquentation de notre rubrique « Ecoles de Design », cet article vous concerne !

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L’internationalisation

En 1999, les ministres de l’éducation signaient la déclaration de Bologne. Il s’agissait de rendre plus lisibles et plus accessibles pour tous les étudiants, les professeurs et les chercheurs les systèmes éducatifs européens. Les trois principaux paramètres retenus étaient :

– la normalisation d’un système à 3 niveaux Licence/ Master/ Doctorat

– la normalisation d’un système d’évaluation des acquis – ECTS – afin de faciliter la mobilité des étudiants

– la promotion d’une coopération européenne en matière de qualité afin d’ajuster les critères et les méthodes d’évaluation

Cette déclaration a désormais été signée par 45 pays et donc au-delà de l’Europe.

Le traité de Bologne a été enrichi par celui de Lisbonne sur la recherche. Il reste beaucoup à faire sur l’harmonisation des procédures menant au doctorat tant les pratiques et les approches sont différentes. L’approche professionnelle des recherches et leur côté opérationnel est notamment opposée à une vision plus académique et fondamentale.

Le processus de Bologne permet aux étudiants de se déplacer facilement et il aura pour conséquence probable que, très bientôt, un étudiant pourra faire sa licence dans son pays d’origine et choisir ensuite d’effectuer son Master dans un autre. Cette évolution va obliger à repenser totalement notre approche de formation qui devra s’adapter à gérer une très grande hétérogénéité de culture dans les programmes de Master.
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La deuxième conséquence mérite une attention particulière parce qu’elle va profondément bouleverser le paysage académique, la gouvernance et les stratégies des établissements. Le marché des « Masters » et des « Doctorats » est à peine entrouvert et il est probable que les établissements vont se livrer une concurrence féroce pour attirer les meilleurs candidats. Le paradigme de la coopération avec les établissements étrangers qui a longtemps prévalu dans nos établissements pourrait se transformer en paradigme de la concurrence où le classement dans les enquêtes internationales devient prépondérant. Conséquence en chaîne, les réseaux de recherche s’appuieront sur les meilleurs Masters et seront réservés à quelques établissements particulièrement performants qui attireront les meilleurs étudiants et les meilleurs professeurs.

Cette évolution s’accompagne de modification sensible dans la gouvernance des établissements. La nécessité de l’excellence, l’émergence de la concurrence, l’adaptation aux marchés va rendre la gouvernance beaucoup plus entrepreunariale et des réflexes de rapprochement avec les entreprises pour drainer de nouvelles ressources.

Ce sera l’occasion du développement de stratégie spécifique pour chacun des établissements : il ne s’agira plus de comparer les systèmes éducatifs de chacun des pays mais bien les établissements entre eux qui par réflexe marketing prendront des positionnements « différentiateurs » et développeront leur image de marque.

La gouvernance des pouvoirs publics va devoir s’adapter à ce nouveau contexte qui ne pourra plus faire jouer le réflexe « égalitaire » entre les universités et les formations nationales. Les pouvoirs publics devront prendre position politique sur le choix des établissements, des secteurs et des disciplines à encourager aux dépens d’autres qui seront plus pertinents dans d’autres pays offrant des références et opportunités différentes.

Il est probable que les diplômes deviendront des labels et des marques de qualité aux dépens des reconnaissances académiques nationales.

Les relations avec les entreprises vont probablement s’imposer pour drainer de nouvelles ressources avec des conséquences sur l’orientation des départements de recherche, la pertinence opérationnelle des sujets et certaines formes de garantie quant aux résultats.
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La qualité

Le traité de Bologne nous conduit au référencement dans des classements internationaux. Ceux-ci s’ordonnent souvent autour de la capacité des établissements à faire de la recherche. Il s’agit d’une difficulté pour un certain nombre de pays car le design n’y est pas traditionnellement une discipline universitaire. Les départements de recherche n’y sont pas constitués et la définition de la « recherche en design » reste à définir pour beaucoup. Technologie, sociologie, anthropologie, informatique multimedia, gestion de projet…autant de disciplines liées au design…S’agit-il de faire de la recherche en design ou sur le design ou à propos du design ?

Mais, il reste aux établissements de design de valider une première étape. Il convient de définir les critères de qualité des formations Licence/Master. Il n’existe pas aujourd’hui de reconnaissance internationale des formations de designer, pas de système Equis européen, ni AACSB pour fixer les règles d’une norme internationale.

Depuis plusieurs années, les designers essaient vainement d’être reconnu auprès du Bureau International du Travail ou même de l’Union Européenne. Trop d’hétérogénéité dans les pratiques rend l’issue incertaine. En revanche, il est de la responsabilité des établissements de formation de mettre en place cette normalisation. La reconnaissance officielle du métier de designer pourra alors être reconnu.
Cette reconnaissance internationale que les réseaux internationaux d’universités de design doivent porter aurait pour objet une garantie durable de la qualité de l’offre de formation.
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La professionalisation ou la nécessité d’évoluer

Les écoles et les étudiants-designers se sont accordés assez facilement sur l’objectif louable et valorisant de révéler le talent de création… mais en négligeant par ailleurs bien des aspects qui aujourd’hui rendent pénible et longue la reconnaissance de leur travail dans les entreprises et qui handicapent les possibilités qu’ils ont à monter dans les hiérarchies opérationnelles.

La mission de formation des écoles de design a beaucoup évolué. Il ne s’agit plus seulement de former des créatifs mais des professionnels de la création. L’enjeu est d’importance et la réponse apportée par les écoles détermine pour partie l’avenir de la profession, des entreprises, de l’économique et même, puisqu’il s’agit de la responsabilité du designer que de s’en préoccuper, de l’avenir de la société.

La professionnalisation des études est réelle dans la plupart des établissements, l’ouverture est patente, des équipes pédagogiques pluridisciplinaires sont mises en place et le travail d‘équipe reconnu. Les établissements se marient avec des écoles de commerce et d’ingénieur. L’étudiant apprend à travailler avec les autres. L’entreprise est associée à beaucoup de projets, les étudiants font des stages et certaines écoles ont décidé de terminer le cursus sur un stage long afin de faciliter les interfaces professionnelles. Le diplôme ne valide plus le savoir-faire technique, ni le seul talent mais bien la capacité à trouver un emploi et à débuter une carrière professionnelle épanouissante. La révélation du talent, la créativité ne sont plus un objectif mais un moyen, une condition sine qua non à la réussite.

Les partenariats avec les entreprises devraient par ailleurs conduire à guider les travaux de recherche et leur donner du sens avec l’écueil toutefois de les orienter vers une rentabilité immédiate et limitant donc quelquefois leur caractère prospectif.

Le développement durable – une formidable opportunité pour le design

L’Homme, la société, l’économie, les entreprises vont devoir s’adapter aux prochaines révolutions : réchauffement climatique, gestion des déchets, gestion de l’énergie, répartition des richesses, de la nourriture, de l’eau, des territoires…toutes ces évolutions vont déterminer un nouvel ordre social et économique mondial où l’Homme, sa survie, son adaptation sera l’enjeu même de notre capacité relever les défis du « développement durable ». Le design en tant que discipline de création et d’innovation a la responsabilité d’intégrer cet enjeu comme élément fondateur de sa pratique.
S’ouvrent d’importantes opportunités pour les formations de design. Le design est devenu indispensable, la perspective économique et sociétal de créer « une société durable » devrait confirmer le rôle du designer comme artisan du progrès.

La dernière révolution industrielle a été celle des TIC, la prochaine sera celle de la « société durable » et les designers sont par essence les mieux placés pour répondre aux enjeux du changement. Il reste toutefois aux écoles à s’adapter aux enjeux de la mondialisation, à l’émergence de la culture économique dans les formations à la création et à une nouvelle donne concurrentielle entre les établissements de formation. Cette concurrence nous oblige à mieux définir ce que nous faisons, à en fixer les normes pour une reconnaissance définitive du métier de designer.