Devenus des marques, les artistes ? (2)

Suite. Aurélien Sooukian co-fondateur et directeur de By Music analyse la situation de la marque quand elle utilise les artistes pour leur notoriété.

Un duo gagnant ? Un marché de dupes ?

Aurélien sait de quoi il parle, alors écoutons-le…

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Des salles de concerts…

Mais à mesure que les ventes de disques s’écroulent, le premier lieu
d’investissement musical est plus que jamais le live. Des méga-marques organisent
donc des méga-événements pour conserver leur leadership. Le N°1 des ventes de
musique en ligne Apple, organise tous les ans à Londres, capitale du rock, the
« iTunes Festival » : 31 nuitées de folie avec plus de 60 artistes. Y sont associés
événements physiques et nouvelles technologies, soutenus par une solide stratégie
360 : « Can’t be there ? You can enjoy the best of the Festival from wherever you are
on TV, online and on iPhone, iPad or iPod touch and twitter ». En France aussi, les
sponsors foisonnent : Le 21 juin dernier, TV5 Monde, Radio France, France
Télévisions, et même le Crédit Mutuel se font l’écho de la fête de toutes les
musiques en tant que sponsors officiels.

Là aussi, c’est du win/win : les sponsors
apportent aide technique et artistique à certains jeunes participants, le programme
des manifestations est largement diffusé, les personnes et structures qui peuvent
s’associer et s’enrichir mutuellement sont mises en contact…Les logos se font leur
place sur les programmes, dans la presse, et les retombées en terme d’image pour
ces enseignes n’ont pas de prix.

… aux scènes virtuelles

A l’heure où les PMU résilient leurs baux commerciaux les uns après les autres, le
point de rencontre s’hyper-virtualise. Le rendez-vous est bel et bien devenu l’histoire
d’un clic.

Paradoxe : Facebook et autres Twitter, symboles mêmes des
communautés virtuelles, incitent maintenant aux rencontres vivantes : fêtes
annoncées sur des groupes publics, apéros géants, soirées à thème. Par ce biais,
les organisateurs de la « Desigual Kiss Kiss party », où By Music s’est rendu en
juillet dernier, provoquent du contact humain.

Les guest groups (Pony Pony Run Run
en première partie, suivis d’un set de Nicolas Ullman), en vedette sur tous les flyers,
ont trouvé un levier plus efficace que Myspace pour faire parler d’eux.

Afin de
célébrer l’ouverture de son nouveau magasin à Opéra, et surtout d’y densifier les
visites, l’audacieuse marque espagnole mise sur le cadeau « laissez-passer » : un
nombre limité de T-shirts aux couleurs de la nuit du baiser attendent les clients dans
la boutique, leur permettant ensuite d’accéder au concert, comme un VIP.

La
population de fans est peut-être un peu jeune et surexcitée, mais bien décidée à faire
la pub de la boutique aux vêtements asymétriques.

Dans le même registre, le
rappeur Common s’était lui aussi produit lors des Block Parties organisées pour le
parfum Only The Brave by Diesel.

Alors, artistes : ambition ou corruption ?

On a longtemps dit que l’art ne s’achète pas. Pourtant les artistes aujourd’hui, dans
leur course à la célébrité, ont à leur disposition un arsenal complet d’outils pour se
vendre. Ils peuvent plus aisément que jamais choisir leur degré d’indépendance et
« s’auto-marketer » pour se démarquer.

A tel point que l’on se demande si le
quotidien de certains d’entre eux est toujours la musique. Ces dernières années,
l’endorsement (association avec l’artiste, comme H&M et Madonna par exemple) a
explosé.

Des figures parfois moins connues du grand public que La Madonne mais
toutes aussi respectées dans leur milieu deviennent vite des hommes d’affaires. Dès
1992, le hip-hoppeur Russel Simmons et fondateur du label Def Jam lançait déjà sa
ligne Phat Farm aux notes élégantes et sportives. Aujourd’hui encore, les collections
s’arrachent de ses vitrines en plein centre de Soho.

Plus récemment, Pharell
Williams ne tarde pas à s’en inspirer et va plus loin dans le haut de gamme en
faisant appel à Louis Vuitton pour signer une collection de joaillerie de luxe. En 2005,
Kanye West tente à son tour de s’affirmer en tant que styliste sans y parvenir.

C’est
encore Louis Vuitton qui acceptera de le servir en cosignant avec lui des sneakers
qui connaîtront un beau succès.
Depuis Missy Elliot en égérie d’Adidas, ou Justice pour la gigantesque basket Nike,
on n’arrête plus les bénéfices à double sens. Dans les couloirs de métro cette année
qui n’a pas vu Bob Sinclar offrir son image aux casques Sennheiser ?

Alors, les
artistes vendent-ils leur âme au diable ? Certains grands noms comme Erykah Badu,
musicienne accomplie à l’âme militante, l’affirment et s’élèvent au contraire contre les
diktats de la consommation : la chanteuse se dévêt entièrement dans son clip
Window Seat, ôtant une par une chaque couche que voudrait lui faire endosser la
société. A-t-elle oublié qu’elle donnait pourtant en 2008 dans un genre purement
commercial, quand elle se parfumait au White Patchouli pour une publicité Tom
Ford ?

Elle nous offre en tous cas la meilleure des conclusions : parce que les
artistes sont devenus des marques et les marques des agrégateurs de contenus,
leurs destins sont plus que jamais intimement liés.