Design : urgence et anticipation…

Clément Rousseau dirige Plan créatif, groupe de communication.
Mais c’est pour Cerisy qu’il s’exprime dans Admirable Design.
Du 2 au 9 Juillet, ce lieu emblématique accueille le colloque « Design, entre urgence et anticipation ».
Un grand moment ouvert à tous, pour faire débat sur le Design, son rôle, son futur.
Explications.

Clément Rousseau (à droite) interviewé par Fabrice Langlais

Admirable Design : un colloque sur le Design dans un lieu dédié à la pensée.
Comment est venue l’idée ?

Clément Rousseau : à Cerisy, lors d’un colloque sur la conception. J’ai eu le plaisir d’y présenter les méthodes de Plan créatif.

Le Centre Culturel International de Cerisy – dirigé par Edith Heurgon et Catherine Peyrou – nous a proposé l’idée d’un colloque sur le Design. C’est avec plaisir que nous avons accepté.

C’est une décision courageuse d’organiser un colloque dans un tel endroit qui fait l’éloge de la pensée. Cerisy est un lieu dans la lignée de Pontigny et de Royaumont, qui a toujours laissé une grande place à la réflexion.
Le Design s’inscrit dans un contexte d’activité économique, où la place de la réflexion diminue chaque jour, faute de temps. C’est une chance pour la profession d’ouvrir le débat et c’est tout l’enjeu du colloque.

AD : justement, pourquoi ce thème « Design, entre urgence et anticipation »
Et ce programme ?


CR  : le Design fait aujourd’hui recette dans les boutiques et les rubriques « déco ».
Certains designers s’épuisent dans cette logique commerciale et brouillent l’image de ce métier.
On commerce, on ne se préoccupe plus du sens et la réflexion est biaisée.

Or le design est à la croisée de la création, de la production, le témoin de l’évolution sociétale ainsi que des nouvelles façons de travailler et de produire ensemble. Il faut se questionner en permanence pour mieux anticiper.
C’est ce qui permet d’imaginer les nouveaux produits et services. C’est la mission du concepteur que je défends.

Le programme est le fruit d’un travail collectif dirigé par trois entités avec des points de vue différents : un représentant de l’enseignement avec l’école Strate Collège Designers, l’APCI comme institution et le milieu économique que je représente.

Nos échanges se sont formalisés dans un programme riche où nous donnerons la parole à des personnalités d’horizons différents : des chercheurs, des entreprises, des industriels, des acteurs du design, des historiens, des hommes politiques, des ingénieurs, des enseignants, des étudiants (ENSCI/ Saint Etienne / Strate).

Dans ce colloque, la langue de bois ne sera pas de mise. Nous voulons nous enrichir de nos différences.

AD : en abordant le design par l’urgence, quel est votre propos ?

CR  : L’urgence est devenu le mode de fonctionnement du design aujourd’hui. Pourquoi ? Et surtout est-ce nécessaire et efficace ? Est-ce conforme à l’idée de notre métier ?

Avec la compression du temps, c’est l’espace qui se réduit.
En 10 h, vous êtes à Pékin. Dans la seconde, avec Internet, vous êtes à l’autre bout de monde. Le temps a rejoint l’espace.

L’entreprise n’échappe pas à cette règle. Désormais nos clients veulent tout, tout de suite. Le designer exécute et tout le monde trouve cela normal. L’urgence est devenu le mode de fonctionnement de la vie économique. Nous en sommes réduit à gérer les urgences alors que notre métier demande surtout de l’anticipation !

L’exemple de l’ordinateur est symbolique Est-il apparu avant cet état d’urgence ou est-ce pour répondre à l’urgence, que l’ordinateur a été créé ?

AD : quelle est la solution ?
CR : le colloque permettra peut-être un éclairage nouveau.
Si vous observez bien, des gens commencent à s’opposer à cette urgence systématique.

La création est une valeur ajoutée qui demande esprit critique et travail intellectuel. Fonction qu’on ne peut assumer si l’on est dans une position d’exécutant comme le sont trop souvent les designers.

Il est de notre responsabilité de « ralentir » pour poser les bonnes questions.

Notre temps est dicté par la vie économique. Soit.
Une autre logique est nécessaire dans nos métiers de création, où le temps de la réflexion existerait, ne serait-ce que pour avoir un temps d’avance.

Regardez le cinéma d’aujourd’hui,tous les moyens techniques possibles et imaginables sont utilisés. Mais pour le contenu ? Prendre le temps de développer une idée génère à coup sûr des chefs d’œuvres pour de nombreuses générations. Mais que dire d’un Matrix ?

AD : l’urgence vient du monde économique. Les entreprises sont-elles prêtes à lever le pied ?

CR  : depuis des années, les choix des prestataires se font par le « moins disant ».
Mais les signes montrent que nous allons entrer dans l’ère du « mieux disant ».

L’entreprise, son action, ses produits doivent désormais être utiles à la société, dans le sens d’un développement plus durable.

La valeur de l’entreprise, c’est sa dimension humaine et collective. Certains clients le comprennent désormais et effectuent une remise en cause. La question n’est pas de gagner des budgets à court terme mais d’éclairer nos clients sur leur futur.

Chez Plan Créatif, nous avons fait évoluer de nombreuses fois notre organisation pour préserver notre manière de créer, malgré l’urgence ambiante.

AD : vous évoquez la mutation de certaines entreprises. Or la plupart obéissent à l’urgence quotidienne parce qu’elles n’ont pas de projet à long terme. N’est-ce pas le fond du problème ?

CR  : La question du projet est centrale.

Quel est le projet de Carrefour ? Celui de Leclerc ? Lequel traversera le temps ?

Beaucoup d’entreprises sont effectivement sans projet.
C’est le travail du concepteur que d’aider à clarifier ce projet.

Quelle est l’idée derrière le problème posé ? Ce questionnement permet de cerner le projet pour mieux l’enrichir.

Exercer un métier de création, c’est être conscient de sa responsabilité en apportant une valeur ajoutée qui fait sens pour l’entreprise et ses clients.

Notre devoir, c’est d’exercer notre esprit critique, de dire ce qui manque pour y arriver. C’est d’affirmer notre projet et nos valeurs.

AD : quelles sont vos recommandations ?

CR  : il faut travailler, prendre de la hauteur, se pencher sur le fond et délaisser les actions « déclaratives ».

Notre métier est passionnant et … sérieux. Créer, c’est une responsabilité !

Nous sommes sans doute en train de payer les conséquences des années précédentes où l’essentiel était de produire, vendre, acheter et consommer, comme si nous étions inconscients de la réalité. Tout cela n’a plus de sens.

Est-ce que cette formidable capacité à bâtir le futur est aujourd’hui bien orientée avec l’urgence qui est devenue notre quotidien ? Ce colloque devrait nous apporter des éléments des réponses et j’invite tous ceux qui se sentent concernés à venir prendre part aux débats.

Programme et inscription : www.ccic-cerisy.asso.fr

Courriel : info.cerisy@ccic-cerisy.asso.fr / tél. 02 33 46 91 66.